Charles, qui était assis en face de moi à table, coupait ses lasagnes avec le couteau dans la main droite et la fourchette dans la gauche. Il posait ensuite son couteau et mangeait avec la fourchette de la main droite. Après chaque bouchée, il tamponnait les coins de sa bouche avec la serviette en tissu noir qu’il avait posée sur ses genoux. Il s’arrêtai entre chaque bouchée pour, je suppose, apprécier les saveurs.
Ma première pensée fut la suivante : il a fréquenté une école privée où il devait porter un blazer en classe. Peut-être un internat pour garçons. L’élite. Une école coûteuse. Exigeante.
Ou alors, tous les autres garçons avec qui j’étais sortie étaient des ploucs, sans le moindre panache.
Les deux options se valaient.
Notez bien. Je ne présumais pas du passé de Charles parce qu’il utilisait correctement l’argenterie ou voulait éviter de porter de la ricotta en guise de rouge à lèvres. Au contraire, il avait un côté mystique. Et ces détails infimes révélaient son éducation.
Je pourrais mentionner son blazer impeccable et les poignets blancs de sa chemise boutonnée qui étaient comme de de jolis bracelets de couleur entre le blazer marine et ses mains viriles. Ou encore ses yeux sombres, qui m’avaient séduite.
Ce qui m’avait le plus frappée, et de loin, c’est toutes les questions qu’il m’avait posées. Il s’intéressait à la personne que je suis.
Tout cela sonne bien prétentieux, comme si j’avais obtenu mon diplôme en tant que major de ma classe d’égoïsme au lycée. Mais un homme qui vous pose des questions sur vous ? Soyons honnêtes, vous savez que c’est rare.
Il voulait connaître mes préférences dans tous les domaines de la vie. Il avait posé des questions sur l’histoire qui m’avait façonnée telle que j’étais et sur les passions qui me faisaient me lever le matin.
Peu de mecs savent faire ça, ou alors ils s’en moquent.
Et plus encore ! Il m’écoutait. Je savais qu’il écoutait, même en coupant ses lasagnes, parce qu’il posait des questions complémentaires.
Cela avait suffi pour me faire tourner la tête. Dans quelques heures, il pourrait bien me faire perdre la tête si je ne me calmais pas. Une bonne conversation est un excellent moyen de me mettre dans son lit.
Au dîner, je ne pus avaler que de toutes petites bouchées de mon risotto et lui jeter des coups d’œil. Pourquoi avais-je besoin de le regarder alors qu’il était assis juste en face de moi ? Ces regards n’étaient pas des regards, des fiançailles polies ou de l’écoute. Ces regards étaient précieux. S’ils étaient trop évidents, il pouvait comprendre ce qui se passait dans ma tête. Il pourrait reconnaître la valeur de ces regards. Je devais rester distante, polie et agréable pendant ce dîner. En fait, je devais lever le voile pour me protéger de moi-même.
Il baissa les yeux pour couper ses lasagnes. Je levai mon verre de vin et lui jetai un autre coup d’œil.
Il avait des oreilles arrondies avec des lobes parfaits pour le grignotage. Lorsque cela me vint à l’esprit, je me contrôlai en resserrant le voile. Je réorientai mon esprit tout en poursuivant la conversation.
« Ton choix de restaurant me fait penser que tu as emmené beaucoup de femmes ici, que tu connais le chef ou que tu as un goût prononcé pour la bonne cuisine italienne. »
Il posa son couteau, mais gardait sa fourchette à la main.
« J’aime bien manger ». Il haussa ses larges épaules dessinées par le blazer. « C’est une autre possibilité pour avoir choisi ce restaurant. »
« Alors tu as dû goûter de la mauvaise nourriture pour trouver la meilleure. » Je posai mon verre après une petite gorgée. Je devais me rappeler que seules les petites gorgées préservent et protègent la nuit.
« Je ne peux pas nier avoir mangé des déceptions. Mais il est nécessaire de prendre des risques. En fait, cela en vaut souvent la peine. »
Il me faisait fondre intérieurement. Quand je fonds, je ressens un picotement dans l’épaule droite, comme si un petit buisson de bruyère se posait sur ma chair nue. Ne me demandez pas pourquoi. Je n’ai pas de difformité ni eu d’accident qui pourrait provoquer ce picotement. Je ne peux que supposer que mon corps et mon esprit s’avertissent l’un l’autre qu’une lave en fusion d’excitation approche de la surface. Ce picotement se produit depuis mon adolescence, lorsque j’avais eu le béguin pour John Raymond. Un blond aux cheveux longs.
Tout au long du dîner, j’avais essayé d’exprimer mon intérêt par des sourires et des interactions félines, ce qui signifiait tout et rien à la fois. J’avais essayé d’éviter – et surtout de retenir – les regards sulfureux qui, de la part d’une femme, peuvent en dire trop, trop vite, à un homme affamé.
Assise avec Charles, je ne me serais pas opposée à ce que l’intrigant propose de prolonger la soirée. J’espérais même qu’il le ferait. Mais c’était à lui de faire avancer les choses, pas à moi.
« Tu n’as jamais répondu à ma question », l’entendis-je dire.
« Oh, je suis désolée. Qu’est-ce que c’était ? »
Il pivota sur sa chaise. « Y a-t-il quelque chose derrière moi qui attire ton attention ? »
« Non, non », dis-je avec un léger rire. « Repose moi la question. »
« Tu as dit que tu aimais les chevaux. »
« L’équitation, voilà. C’était quand j’étais plus jeune, une jeune adolescente. Depuis, c’est devenu un fardeau. Plus une contrainte qu’un plaisir. »
Je suis monté à cheval quelques fois. C’était une jument et…e
Pendant qu’il parlait, je me suis mordillé la lèvre, réalisant à quel point il était beau. J’avais vu les rides au coin de ses yeux. L’étoffe d’un quinquagénaire séduisant.
Cela faisait bien longtemps qu’un homme n’avait pas éveillé mon esprit autant que mon corps.
« Au cours d’une partie de polo ? » L’interrompis-je alors que mon esprit se réengageait.
« Polo ? »
« Oui, avec le long bâton, les bottes d’équitation et le chapeau à bords courts. »
Il rit. « Je n’ai joué au polo que dans l’eau à l’école. Dans une piscine avec un ballon. Pas avec des chevaux. »
« Tu as joué au water-polo à l’école ? »
« J’y ai aussi joué à l’université. Je fais toujours partie d’un club ces jours-ci. Alors… »
Il abandonna le sujet du water-polo pour revenir aux chevaux, sans doute parce que c’était un de nos points communs.
Charles se redressa pour raconter son histoire. « Le cheval était une jument avec un tout jeune poulain. Je l’ai montée… »
Imaginez deux équipes de durs à cuire en petits sous-vêtements moulants se battant pour moi. Une fois encore, je devais me méfier de mon imagination, car ces casquettes de water-polo aux grandes oreilles risquaient de gâcher l’image.
« … n’allait pas quitter son bébé. Depuis, les chevaux ne m’intéressent plus. »
« Est-ce qu’elle t’a désarçonné ? » lui demandai-je.
« Non, car j’ai su la maîtriser. Il n’y a pas eu de mal. Mais à l’avenir, je dirai que si je devais être un cow-boy, je serais un cow-boy du vingt-et-unième siècle, chevauchant un quad à six roues dans les plaines. »
Il éclata de rire.
Je levai mon verre de vin. « Je t’imagine bien sur ce véhicule à six roues avec le fameux chapeau de cowboy sur la tête. »
Je lui adressai un clin d’œil avant de boire une gorgée de vin blanc.
« Tu devrais venir jeter un œil sur les bottes de cow-boy diamantées que j’ai à la maison. » me répondit-il avec un clin d’œil.
Une nuit intrigante chez lui pour voir ses bottes en perspective. L’idée me plaisait déjà. Peut-être qu’il pourrait être mon quad. J’étais sure qu’il avait des tablettes de chocolat en guise d’abdos. Pas seulement dans le placard comme la plupart des mecs.
Encore une fois, je ressentis ce picotement à l’épaule.
« Tu ne les portes pas ce soir ? lui demandai-je à propos des bottes. « Je suis un peu déçue. »
« Je ne suis pas vraiment un homme à porter des bottes de cow-boy dans la vie de tous les jours. » Il leva son verre de vin. Une réaction à la hauteur de la mienne.
« Tu ne montes plus – du moins, plus de chevaux. Êtes-vous une cow-girl d’une manière ou d’une autre ? » Il posa son verre et reprit son couteau et sa fourchette.
« J’ai une paire de bottes usées, et j’ai quelques pantalons coupés. Cela peut faire de moi une cow-girl du vingt-et-unième siècle. Rien de plus. La musique country ne m’attire pas, donc tous mes choix vestimentaires annulent mon statut de cowgirl. » J’ajoutai ensuite. « Je monte toujours. »
« Tu chevauches quoi ? Les vagues ? Un vélo ? La montagne ? Le vent ? »
Ce commentaire lui avait-t-il échappé ? Était-il à ce point « Ivy League » que son esprit n’avait pas saisi l’allusion ?
« Pourquoi me limiter ? Je chevauche tout ce que m’offre la vie », lui dis-je. Une phrase stupide, mais c’est tout ce dont j’étais.
Il leva son verre. « Un toast aux caprices de la vie menant on ne sait où sur on ne sait quoi. »
« Bravo, bravo. Chevaucher Dieu sait quoi. »
Nos verres tintèrent l’un contre l’autre.
Après que le serveur eut débarrassé notre table, Charles commanda un dessert pour nous deux. Lorsque le serveur de posa sur la table, Charles dit : « Ce sont des cerises pochées au vin rouge avec de la crème de mascarpone. »
« Ça a l’air bon. »
Des cerises, du vin rouge et de la crème. Une combinaison qui a été conçue uniquement pour le sexe. C’est même la progression qui menait à une bonne nuit passée nus au lit. Une cerise, du vin et enfin de la crème.
Aïe ! Encore ce satané picotement.
Le dessert disparut lentement à l’aide de nos deux cuillères.
Alors que les dernières bouchées me revenaient, Charles posa ses coudes sur la table – je suppose que c’était un faux pas selon les standards de l’Ivy League – et croisa ses doigts.
« J’ai passé une excellente soirée. Il n’est que 22 heures. Tu veux venir chez moi ? J’ai une bouteille de vin d’Afrique du Sud ouverte. Je n’aimerais pas la finir seul. »
Son sourire, Wow ! Les coudes sur la table, c’était pardonnable. Je ne pouvais rien faire contre son grand sourire et le picotement pulsait des vagues douloureuses d’inquiétude.
« Je ne vaux pas plus qu’une bouteille déjà entamée ? » lui demandai-je.
« Et le pire… » Ses rides se resserrent autour de ses yeux, tandis qu’il souriait. « C’est qu’elle est déjà à moitié entamée. »
Il avait été enjoué toute la soirée, et j’avais riposté, testant ses capacités face à une femme à l’esprit affuté.
Je mis la main sur mon cœur, me tapotant la poitrine. « Cela me fait mal. Mon cœur souffre, il souffre vraiment. »
« Le vin guérit les blessures. Et j’ai beaucoup de médicaments à la maison. »
« Je n’aurais pas besoin de guérison si tu ne m’avais pas poignardée, Chuck. »
« Ne m’appelle pas « Chuck ». Je t’ai déjà dit à quel point je n’aime pas ce nom. »
« Tu as déjà dit que tu le détestais. Pas qu’il te dé-queue-tait ». Je couvris ma bouche des deux mains. « Je ne voulais pas dire ça. Réellement. Ce n’était pas… »
Mes paroles s’évanouirent tandis que mon visage rougissait et que mes joues s’échauffaient.
Un étudiant huppé de l’université et une femme à la bouche incontrôlable dont l’esprit obsédé coulait à travers ses lèvres.
Je continuai à m’excuser. Il essaya de dissimuler son rire tout en m’assurant que tout allait bien.
« Tout va bien », me consola Charles. « C’était une erreur … innocente… »
« J’ai besoin d’un verre d’eau, s’il te plaît. » Mon verre était vide et ma bouche, desséchée.
Il me tendit son verre et me dit : « Le vin a plus d’acidité pour nettoyer une bouche qui aime dire des cochonneries. »
La condensation autour du verre était fraîche et humide, ce qui compensa mon pic de température corporelle consécutif à mon embarras.
En buvant l’eau, je remarquai sa pomme d’Adam monter et descendre sur son cou robuste.
« Michelle… » Il me prit la main. « Honnêtement, ce n’est pas grave. Tu n’as fait qu’illustrer les moments forts de la soirée. Rien de plus que ça. »
« La bande annonce, hein ? »
« Oui, c’est là que sont diffusées les scènes les plus mémorables. »
Son commentaire ne m’avait pas aidée. L’eau m’avait calmée. Mes joues restaient rouges. J’ai expiré et ri de mon embarras du mieux que je pus.
Il prit ma main fraîche et humide entre ses mains puissantes. « Que dirais-tu d’aller boire une bouteille de vin chez moi ? »
Sa voix était basse et fluide, comme s’il s’agissait d’un autre moyen pour gracieusement mettre ma maladresse de côté.
« Pour le vin », répéta-t-il.
Charles et moi nous installâmes étroitement sur la banquette arrière du taxi. Je laissais mon épaule gauche se frotter à son corps lorsque le taxi remuait pendant le trajet. Bientôt, il passa son bras autour de moi et me serra contre lui. Il dégageait un parfum épicé avec son attitude froide ou était-ce un parfum froid avec une attitude épicée ? Quoi qu’il en soit, l’odeur m’apaisa et je laissai tomber une autre ligne de défense.
Le chauffeur s’arrêta devant un grand immeuble.
En sortant du taxi, j’ajustai ma jupe et remit mon chemisier en ordre.
« Je peux rester pour un demi-verre », lui rappelai-je.
« S’il y a un demi-verre à boire. Il n’y a pas grand-chose dans la bouteille », dit-il avec sa froideur habituelle.
« Je mérite plus que ça. Au moins pour avoir fait les gros titres. »
Il haussa les épaules. « Tu auras ce que tu auras. »
* La suite la semaine prochaine ! Stay tuned comme on dit.
** Cette fiction érotique a été écrite en anglais par Claire Woodruff. Pour la lire dans sa version originale, c’est par ici.