Shelly venait de rentrer chez elle après deux semaines de voyages incessants pour une série de séances photos et même une conférence. Lors de la dernière étape du voyage, elle mourrait d’envie de retrouver son propre lit, sa propre douche, ses propres serviettes douces, sa propre armoire remplie de vêtements. Par-dessus tout, elle voulait se reposer sur le petit coussin usé au centre de son canapé, devant la télévision.
Ce voyage lui avait confirmé qu’en dépit des hôtels haut de gamme, des massages dans les chambres, des buffets de petit-déjeuner et même des canapés chics devant d’immenses téléviseurs 4K, il n’y a pas d’endroit comme chez soi.
Tote-bag à l’épaule et faisant rouler sa valise à quatre roues dans le long couloir de son immeuble, elle remarqua une petite enveloppe blanche sur la porte grise et terne de son appartement. L’enveloppe carrée était cachée derrière les numéros d’appartement en laiton au-dessus du judas.
Elle arrache l’enveloppe de la porte. L’enveloppe était vierge.
Elle traîna ses sacs à l’intérieur, posant son tote-bag et son sac à main sur la table. La valise bascula sur le sol. Elle s’en moquait.
À l’intérieur de l’enveloppe se trouvait une petite carte. Sur la couverture, une caricature de deux femmes au visage rouge se montrant du doigt et montrant leurs voitures cabossées. Les pare-chocs des voitures souriaient et les phares faisaient des clins d’œil. À l’intérieur, on pouvait lire « Je suis contente d’être tombée sur toi ». En dessous, un petit message était écrit à la main :
« Jamais je n’aurais pensé passer une telle journée. J’espère te voir bientôt. »
Alessandra avait griffonné son nom d’un coup de crayon doux.
Son message était simple, rapide, concis.
Shelly agita la carte devant son visage et l’excitation s’empara d’elle malgré son corps et son esprit épuisés. Il fallait qu’elle revoie bientôt cette fraîche et jeune mannequin. Pour l’instant, c’était impossible. Shelly était trop fatiguée pour envoyer un SMS ou appeler sa nouvelle amie. Elle n’avait même pas le courage de regarder les images numériques d’Alessandra sur son téléphone.
Shelly se lava le visage, se mit en pyjama et s’installa sur son coussin préféré. Elle choisit une émission sur Netflix, mais s’endormit avant la fin du générique.
De bonne heure le lendemain matin, le soleil dardait ses rayons lumineux directement sur le visage de Shelly, toujours affalée sur le canapé.
Shelly se rendit à la cuisine pour se faire du café. En attendant la percolation, Shelly fixa la petite carte d’Alessandra et se demanda combien de temps elle était restée sur sa porte. Pour ce qu’elle en savait, cela faisait peut-être deux semaines. Alessandra ignorait probablement que Shelly était en voyage, elle se demandait sans doute pourquoi Shelly n’avait pas saisi la perche, n’avait pas rappelé, n’avait pas envoyé de texto ou n’avait pas répondu à sa porte pendant tout ce temps. Shelly espérait qu’Alessandra n’avait pas inventé une mauvaise raison pour expliquer ce manque de communication.
Elle saisit son téléphone et écrivit un message :
Je suis de retour à la maison. Long voyage. Quand pouvons-nous nous revoir ?
Elle espérait une réponse rapide. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Deux jours plus tard, elle n’avait toujours pas eu de nouvelles d’Alessandra. Pour retrouver cette amie disparue et un nouveau visage qui l’avait déjà intriguée, elle et ses clients, Shelly se mit en chasse.
Shelly avait cherché à savoir où vivait Alessandra. Elle vivait peut-être dans le même immeuble – en tout cas, elle avait emprunté la sortie qui menait sur le toit de l’immeuble cet après-midi fatidique. Elle vivait peut-être dans une autre aile et à un autre étage, car Shelly ne l’avait jamais vue auparavant. Shelly l’avait payée pour le travail en ligne et n’avait donc pas d’informations directes sur son domicile ou son adresse postale. Shelly avait son adresse électronique et son numéro de téléphone. Elle avait un indicatif local. Si Alessandra ne répondait pas, ces informations étaient pratiquement inutiles.
Shelly savait également que le nom de famille d’Alessandra était Delgado. En parlant au concierge de leur immeuble et en lui donnant 10 dollars pour obtenir des informations clés, elle apprit que personne ne louait d’appartement sous le nom de Delgado ou d’Alessandra. Shelly se souvint qu’Alessandra était en colère – furieusement en colère – contre son petit-ami le jour où les deux femmes s’étaient rencontrées sur le toit. Shelly en avait supposé qu’elle vivait avec son petit ami. Ou son mari ? Mais elle ne connaissait pas son nom.
Shelly repoussa l’idée de parcourir chaque étage de chaque aile du bâtiment. Marcher serait une torture et, si elle frappait à chaque porte, elle serait rapidement escortée hors de l’immeuble. La probabilité qu’Alessandra sorte de son appartement au moment précis où Shelly arriverait au tournant était infime.
Elle se trouvait embarrassée. L’adorable jeune femme qui était devenue son fantasme avait disparu, s’était volatilisée. Leur dernier contact était la petite carte. Assise sur son canapé, elle fit claquer la carte dans sa main.
« Je suppose que c’est à elle de décider », se résigna Shelly. Elle se dirigea vers l’ordinateur et parcourut les images de la fille sexy qui avait gâché son après-midi de yoga.
L’un des clients de Shelly avait aimé les images – autant que Shelly – mais d’une manière strictement professionnelle. Le client en voulait plus.
« Je suis en train d’organiser une séance photo avec le modèle », avait-t-elle dit au client par téléphone. « Elle est très occupée. Je veux dire qu’elle a un autre emploi à temps plein. Mais je ne la lâche pas. »
Shelly n’était pas sûre de cela, mais Alessandra ne donnait pas l’impression d’être une femme entretenue.
L’homme à l’autre bout du fil lui dit : « Je voudrais en savoir plus sur elle. Vous savez que le temps de travail pour un mannequin est éphémère, mais elle a un look de longue durée. Trouvez-la pour moi. »
« Je comprends. Les mannequins perdent rapidement de leur fraîcheur, oui, oui, je sais. Je suis là depuis presque aussi longtemps que vous. Mais je n’ai que peu d’informations pour la trouver. »
« Ne perdez pas de temps ! »
Shelly soupira. « Vous êtes dur en affaire. »
Shelly était prête à raccrocher avec ce client.
« Attendez, Shelly, écoutez. Faites ceci. Envoyez mille dollars à cette fille. Cela l’encouragera à répondre, ne serait-ce que pour demander pourquoi vous lui avez envoyé de l’argent. Vous savez, au cas où vous auriez fait une erreur. Le fait de recevoir des sous au hasard peut amener les gens à se demander « mais pourquoi donc ? ». Cela l’incitera à agir », déclara le client.
« Si vous le souhaitez. Je suis dans une impasse. » Shelly haussa les épaules et afficha un sourire en coin. « Transférez l’argent sur mon compte, et je lui transmettrai. »
« Vous aurez l’argent d’ici 5 minutes. Et je veux que vous me teniez au courant quand elle vous répond et même si elle ne vous répond pas. Je veux cette fille ! »
Shelly trouva l’argent sur son compte et le transféra immédiatement sur le compte d’Alessandra avec un message rapide : Tu me manques.
Il ne lui restait plus qu’à attendre à présent.
Le lendemain, Shelly se rendit sur le toit de l’immeuble pour trouver un peu de soleil et de paix. Elle déroula son tapis rose et se mit en boule pour prendre la pose de l’enfant. Elle ralentit sa respiration, mais ne se calmait pas. Elle se mit en position de chien tête en bas, les jambes et les bras tendus. Elle essayait d’apporter de l’équilibre à son corps et son esprit. Pourtant, son esprit était distrait. Elle espérait que la porte d’entrée du toit s’ouvrirait à nouveau et qu’Alessandra apparaîtrait. Qu’elle soit furieuse et hurlante comme la dernière fois ou joyeuse peu importe, du moment qu’elle venait.
Shelly se mit dans la position du guerrier, pointant sa main droite vers le soleil. Elle enchaîna ensuite des poses requérant souplesse, équilibre et force. Le facteur méditation était hors de sa portée à cause d’Alessandra. Sans que la porte ne s’ouvre, Shelly finit par enrouler son tapis et descendit du toit par cette porte. Elle admettait que la reconstitution d’une situation passée ne recréait pas ses conséquences.
Elle reprit sa place sur le coussin de son canapé.
« Allez, ma fille », se dit Shelly à haute voix. « On se bouge ! »
Les émissions de télévision étaient inintéressantes et le coussin du canapé plus si confortable. Elle décida d’aller se promener. Elle enfila ses chaussures de jogging et sortit dans la rue avec son appareil photo.
Shelly prit quelques photos, mais son esprit n’y était pas non plus. Elle jeta un coup d’œil dans une bodega, non pas pour manger, mais dans l’espoir d’apercevoir Alessandra. La jeune femme n’était pas là. Shelly se rendit dans un salon de coiffure et de manucure. Elle n’y était pas non plus. Elle jeta un coup d’œil dans un restaurant chinois, un restaurant pakistanais et un fast-food. Rien. Elle abandonna. Le soleil se couchait et l’air du soir se rafraîchissait, malgré la chaleur omniprésente de la ville.
Shelly s’arrêta dans un pub irlandais pour boire une bière. Une serveuse rousse s’empara immédiatement d’une chope à sa commande.
Alors que la mousse s’écoulait sur le bord de la chope, elle dit à Shelly : « Vous avez quelque chose en tête. »
« Je cherche un ami que je ne trouve pas. »
« Ne le dis pas trop fort. Les Irlandais d’ici se battent pour être votre ami et vous dévorent ensuite tout entière. » Elle a relâché la grande poignée pour arrêter l’écoulement de la bière. Elle posa la chope froide sur un mince sous-verre à l’effigie du Daly’s Bar sur la 31e rue.
Shelly but une gorgée et dut lécher la mousse sur sa lèvre supérieure.
« Qui c’est cet ami ? » demanda la serveuse en essuyant un grand verre avec un torchon blanc.
« C’est une amie, en fait. Une petite Latina adorable. Elle ne me répond pas et je ne la trouve nulle part », dit Shelly.
« Quel est son nom ? »
« Alessandra Delgado. Vous n’avez jamais entendu parler d’elle, n’est-ce pas ? »
« Non, désolée. »
La serveuse fronça les sourcils. « Elle a une bonne raison pour ne pas rappeler ? Tu n’es pas trop méchante ou grincheuse ? »
« Au contraire. » Shelly but une nouvelle gorgée de sa bière. Elle s’appuya sur son tabouret et tourna lentement la chope de façon à ce que le sous-verre pointe vers elle sous la forme d’un diamant, puis d’un carré simple au tour suivant.
« J’aimerais pouvoir te donner un conseil », dit la serveuse en accrochant un verre dans le porte-verre. « Seuls les barmans savent le faire. Tout ce que je peux faire moi, c’est t’offrit une bière. »
« Et c’est déjà super, merci. »
De retour chez elle, Shelly admirait les images d’Alessandra sur son ordinateur. La mannequin était mignonne, avec des cheveux noirs et une grande personnalité. Elle avait réquisitionné tout le carrefour ce jour-là.
De façon inattendue, l’ordinateur émit un signal sonore. Un message électronique.
L’e-mail provenait d’Alessandra. Il y avait une photo d’elle ! Elle était sur la plage avec un homme. Ils étaient en train de sauter, le sable s’envolant dans les airs. Son message était le suivant :
« J’adore Puerto Vallarta. La plage est spectaculaire ! Je rentre dans trois jours. »
Shelly était choquée et, tout autant, bouleversée. « Qu’est-ce qu’elle fait là-bas ? Et elle est à nouveau en couple avec cet homme ? »
Elle lui répondit ceci :
Profite du Mexique. Mais viens me voir quand tu seras rentrée. Tu me manques.
Au fond d’elle-même, elle était furieuse qu’Alessandra soit avec quelqu’un d’autre. La jolie mannequin devait être retournée avec l’homme qui l’avait tant énervée quelques semaines auparavant. Mais Shelly était certaine que n’importe quel homme se remettrait avec une femme mannequin. « Il lui a probablement acheté des cadeaux et s’enfuit avec elle pour des vacances extravagantes. Tout ça pour la récupérer. Je parie qu’il n’aurait jamais pu l’emmener au Mexique si je ne l’avais pas transformée. »
Shelly laissa son téléphone à côté de l’ordinateur, bien qu’elle eût envie de le jeter sur la table ou même de le jeter à l’autre bout de la pièce. Elle calma son flot de sentiments, sachant que la photo avait libéré des émotions enfermées après des recherches, des peurs et une confusion totale. Shelly voulait simplement être celle qui était avec elle, à la place de son petit ami.
Elle se débarrassa de sa jalousie. Elle envoya un texto à son client :
J’ai trouvé notre modèle au Mexique. Elle devrait être de retour en ville dans quelques jours. J’espère qu’on se reverra.
La réponse ne tarda pas :
Faites-la venir dès que possible !
Les jours suivants, Alessandra envoya d’autres photos. Elle portait un joli haut de bikini qui couvrait bien ses seins. Sur une autre, elle portait un short court et un tee-shirt avec deux quartiers de citron vert. On pouvait y lire « Squeeze Me ».
Shelly gloussa en voyant la chemise, sachant ce qu’elle aimerait en faire.
La dernière photo montrait Alessandra dans une robe bohème dos nu qui lui arrivait aux genoux. Shelly admira les épaules brunes et noueuses d’Alessandra, ainsi que ses bras longs et fins. S’attardant sur chacune de ces images, Shelly avait hâte que cette fille revienne.
Après plusieurs jours d’attente angoissante, Shelly a reçu un message sur son téléphone. C’était Alessandra !
Enfin à la maison ! Il faut que je te parle. Quelle heure te convient le mieux ?
Elle répondit par texto
Maintenant, c’est parfait. Viens vite.
Une heure plus tard, la charmante Alessandra était assise avec Shelly sur le canapé, s’extasiant sur tout ce qu’elle avait fait et vu à Puerto Vallarta.
« La ville est incroyable. Maintenant, je sais pourquoi cette photo dans ton studio m’avait tant marquée. »
Le front de Shelly se plissa sous le coup de la confusion. « Une de mes photos ? Laquelle ? »
« Tu ne t’en souviens pas ? La photo sur la plage avec Luna. J’avais adoré cette photo, elle n’a jamais quitté mon esprit. »
« Ça a eu un impact, hein. » Shelly sourit et appuya sa tête sur son poing.
« Oui ! Quand mon copain m’a dit qu’il fallait qu’on se reconnecte après notre dispute le jour où nous nous sommes rencontrées, je lui ai dit qu’il fallait qu’on aille à Puerto Vallarta ! Je n’ai pas hésité une seconde. »
Shelly s’appuya sur son canapé. Les émotions – bonnes et mauvaises – tourbillonnaient en elle. En fait, elle s’était remise avec son petit ami.
« Je n’arrive pas à croire que mon art ait eu un tel impact sur toi. L’entendre me réchauffe le cœur. » Shelly a posé sa main sur sa poitrine et a regardé Alessandra dans les yeux. Elles se prirent dans les bras comme deux amies.
Après avoir partagé toutes ses pensées, l’excitation et les joies ressenties lors de son escapade, Alessandra se calma et reprit une respiration normale. C’est alors que Shelly évoqua le mannequinat.
« Les photos de ta séance de photos ont impressionné plusieurs de mes clients. »
Elle marqua une pause pour laisser les mots pénétrer dans l’esprit de la petite Latina.
Cette fois, le front d’Alessandra se plissa. « C’est vrai ? Cela a-t-il un rapport avec l’argent que tu m’as envoyé ? ».
« Un client m’a demandé de te payer un supplément parce qu’il veut plus de toi. »
Alessandra plissa les yeux. « Les photos pour la montre-bracelet ou celles du carrefour ? »
« Du carrefour. »
Alessandra acquiesça. « C’était une expérience incroyable. »
Shelly regarda doucement la femme assise à ses côtés et fit glisser son index le long de la nervure d’un coussin du canapé. « Est-ce que ça te dirait de recommencer ? Mon client me supplie de te convaincre. »
« Il te supplie ? » Alessandra faillit rire à cette idée.
« Il me harcèle, Alessandra. Il me supplie, supplie, supplie. »
« Que ce que tu veux que je fasse de plus ? Nous sommes déjà allées dans la rue. J’ai juste… » Sa voix s’éteignit.
« Tu as ressenti des choses après notre dernier tournage ? Est-ce que ton petit ami – comment s’appelle-t-il ? – t’a dit quelque chose ? »
« Il s’appelle Gerardo », dit Alessandra, avant d’ajouter : « Il était plutôt d’accord avec ton client. Enfin, plutôt d’accord. Il aimait que je sois si belle et que je sois le centre d’attention, mais il n’a pas aimé que les autres me voient comme ils le faisaient. J’ai été tellement surprise que la séance photo nous ait rapprochés, lui et moi. Il a été si bon avec moi ces derniers temps. »
Shelly se sentait envahie par les sentiments. Cette fille aimait toujours Gerardo.
« S’il n’entrait pas dans l’équation, tu ferais un autre shooting ? »
Le visage d’Alessandra se pencha un instant vers la moquette. Elle lèva ensuite les yeux vers Shelly. « Oui, certainement. Même maintenant, mon cœur bat la chamade. »
« Que devrions-nous faire alors puisque l’avis de Gerardo entre en ligne de compte ? »
« Je ne sais pas. »
« Nous pouvons nous amuser si tu veux » Shelly gloussa en déformant ses vraies pensées. « Et voir ce que cela donne en termes d’images. Peut-être que nous pourrons obtenir des photos qui plairont à Gerardo. Tu en penses quoi ? »
« Oui, jouons un peu. Qu’est-ce qu’on fait ? »
Mets-toi nue et laisse-moi poser ma bouche sur toi, voulut dire Shelly, mais elle se retint de parler.
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* Partie 6
* Partie 7
* Partie 8
*** Cette fiction a été écrite en anglais par Claire Woodruff et pour la lire dans sa version originale, c’est par ici.