Nous sommes restés au bar pendant 10 minutes, sa main tenant mon coude comme si j’allais m’enfuir s’il me lâchait. Nous nous sommes répété les banalités d’usage. « Ça fait si longtemps », « Mon Dieu, comme on est vieux » (29 ans n’avait jamais semblé aussi vieux), « Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? ». « Surprise, surprise, comme si tu allais faire autre chose », « Oui, mes parents vont bien », « Je n’arrive pas à croire que ça fait si longtemps », « Qu’est-ce qui nous est arrivé… » Il me serre le coude et me regarde avidement droit dans les yeux.
Un léger remords s’installe. L’université, voilà ce qui nous est arrivé. De nouvelles relations nous sont arrivées ; du genre qui se repaît de la possession pleine et entière et qui écarte les amitiés étroites avec le sexe opposé. Il n’y a jamais eu de drame à proprement parler. Nous avons juste suivi nos propres chemins.
Je n’aime pas les regrets, mais le regret est pourtant la seule façon de décrire le sentiment qui m’envahit lorsque je pense de temps en temps à la vie qui s’est écoulée sans lui. Il est triste et étrange que des personnes si importantes dans nos vies à un moment donné et en deviennent étrangères l’instant d’après.
Des étrangers. C’était un étranger. Sa voix était plus grave. Ses yeux marron foncé étaient entourés de rides, mais semblaient plus brillants, plus animés. Les lumières du bar révélaient les reflets cuivrés de ses cheveux blonds qu’il détestait tant quand nous étions jeunes ; il les porte plus longs à présent. Ils sont plus ondulés que dans mes souvenirs. On dirait qu’il vient de les sécher à la serviette après s’être baigné dans la mer. Je le lui dis et il rejette la tête en arrière et rit à gorge déployée, la bouche grande ouverte, les yeux fermés.
« Tu n’as pas changé d’un poil », dit-il en me regardant à nouveau dans les yeux.
« J’espère bien que si », réponds-je.
Son sourire disparaît et il prend un air sérieux. « Tu es exactement la même pour moi. »
Quelqu’un le prend par la taille et nous découvrons tous les deux une femme qui nous regarde d’un air perplexe. Son alliance me l’aurait indiqué, mais c’est plutôt son geste volontaire, déterminé à nous séparer qui m’a permis de savoir qui elle était.
Ainsi, il s’était marié. Je regarde son annulaire – comment se fait-il que le mariage n’ait pas été évoqué dans la conversation ? Elle est tout le contraire de moi. Petite, 1m65 environ, des cheveux blonds cendrés, une poitrine généreuse, des lèvres pulpeuses, une minuscule taille de guêpe. Elle a de de très beaux et grands yeux bleus. Elle est vraiment magnifique.
Je le lui dis et je lui précise qu’il est n’est vraiment pas à sa hauteur, il acquiesce et la tension retombe. Après avoir présenté nos amis respectifs, nos soirées se mélangent et nous partageons des histoires anciennes et nouvelles ; les boissons sont de plus en plus fortes jusqu’à ce que nous soyons tous étourdis par le soleil et les spiritueux.
Alors que la nuit commence à s’assombrir, je tire sur ma paille et je les observe de l’autre côté de la table. Ils s’assoient près l’un de l’autre. Il l’embrasse… beaucoup. La plupart du temps, elle a toute son attention, et ce depuis le début de la soirée. Enfin, sauf quand il me cherche. Son expression change complètement, ses lèvres sourient fermement et il inspire de façon visible. À chaque fois. Je ne parviens pas à comprendre ce qui se passe mais pour des raisons inconnues, mon cœur s’emballe.
Ce qui arrive ensuite est très soudain. Sans me quitter des yeux, il se penche vers elle et lui chuchote à l’oreille. Elle me regarde, un sourire timide mais insolent illumine son visage. Elle se lève, fait le tour de la table et me prend la main. Je suis à moitié traînée, à moitié conduite sur la piste de danse où elle commence à danser avec moi. En se frottant contre moi…
Son menton se lève vers le ciel tandis qu’elle tourne la tête vers la musique, les yeux fermés, et je suis attirée par sa bouche, ses lèvres roses pleines qui chantent des paroles de temps à autre. Elle promène ses mains dans le bas de mon dos et, pliant les genoux pour trouver son rythme et les pieds écartés, ses hanches trouvent une place ferme contre moi. Ses cuisses nues glissent le long des miennes tandis qu’elle se baisse jusqu’à ce que sa tête soit alignée avec le bas de ma robe très courte. Elle remonte à nouveau. Lorsqu’elle descend une deuxième fois, sa jupe reste collée à moi l’exposant ainsi davantage et je constate alors que ma bouche est sèche.
Le creux entre ses épaules et sa clavicule se creuse lorsqu’elle renverse la tête en arrière. Je m’imagine en train de faire courir ma langue le long de la crevasse. J’ai toujours voulu être avec une fille plus petite que moi. Elle, la « jolie fille » qui veut qu’on s’occupe d’elle ; moi, l’ « expérimentée » qui prendrait soin d’elle. La prochaine fois qu’elle remonte, je pose mes mains sur sa taille, juste au-dessus de ses hanches, et je l’approche de moi. Le mouvement est à peine perceptible, mais le fait que sa poitrine soit maintenant serrée et dressée contre moi signifie qu’elle est excitée. Ses yeux s’ouvrent pour me regarder.
Elle veut que je l’embrasse.
Ses paupières lourdes et sa bouche ouverte en sont la preuve. Je prends son menton entre le pouce et l’index, je le lève vers moi et je la regarde avant d’approcher ma bouche de la sienne et de passer lentement ma langue sur sa lèvre supérieure. Nous sommes suffisamment proches pour que je l’entende malgré la musique émettre un petit gémissement avant qu’elle ne dise : « Nous avons du gin chez nous, si tu veux venir boire un verre… « Je regarde vers la porte mais mes yeux n’y parviennent pas. Ils se posent sur le grand et bel inconnu que j’ai connu autrefois, avec son sourire crispé et son regard sérieux. « Ça me semble un programme alléchant », lui réponds-je.
Je les observe tous les deux sous la lumière chaude de la torchère qui accompagne le fauteuil Chesterfield brun dans le coin de leur chambre où je suis assise, une jambe par-dessus l’autre. Je ne prête qu’à moitié attention à leur déshabillage méthodique, analysant plutôt la pièce à la recherche d’indices quant à ce mariage.
Je ne discerne pas grand-chose. Le grand lit est en pin traditionnel, avec une tête de lit en fuseau et des montants de lit. La literie est noire, avec des imprimés de fleurs en blanc d’une taille exagérée. Des étagères ont été installées au-dessus du lit, il n’y a pas de place pour des tables de chevet. Aussi, les différents appareils électriques – tablette, chargeur de brosse à dents, chargeur de téléphone – sont posés sur le sol, les fils courant de manière désordonnée vers les prises de courant avoisinantes.
Le coin où je m’assieds est sans rapport avec le reste de la pièce. Il est élégant et juste ce qu’il faut de douillet. C’est comme si un architecte d’intérieur avait abandonné le travail en cours de route. Je n’arrive pas à savoir cet espace a été laissé volontairement inachevé ou simplement mal coordonné. Cela me met un peu mal à l’aise. Il n’y a pas de photos d’eux, en fait pas de photos du tout. Pas de livres. La pièce la plus intime et la plus privée d’une maison dans laquelle il n’y a précisément rien de personnel. N’importe qui pourrait dormir… ou baiser ici. C’est un mystère.
Je reporte mon attention sur eux deux, sur le lit. Mes yeux sont attirés par elle. Son corps est incroyable. Des seins parfaits malgré leur volume, un ventre plat, des hanches étroites. Le fantasme parfait de tout adolescent qui materait un porno. Et le mien.
Je comprends pourquoi il aime les manifestations publiques d’affection. Je parie qu’il a mouillé son caleçon la première fois qu’elle avait regardé son visage. Ils sont tous les deux nus et pourtant, assise directement sous la lumière, je me sens la plus exposée de la pièce. Je suis encore entièrement vêtue ; ma mini robe ultramoulante noire à épaulettes est toujours en place, mais elle me semble maintenant trop serrée et ne pardonne aucun défaut. Je déplace mes bras pour qu’ils reposent sur mon ventre, les coudes serrés le long du corps.
Elle s’ouvre à lui alors qu’il grimpe dessus, les bras tendus le long d’elle, et je la regarde rouler la tête en arrière lorsqu’il la pénètre. Je suis choqué par sa taille. Je n’avais jamais pensé à sa bite auparavant. Et ne l’avais évidemment encore jamais vue. Il avait vraiment… grandi. Il n’y eut pas de préliminaires. Pas de préparation. Il entre et sort, sans jamais changer de rythme. Sa posture ne change pas. Entrée. Sortie. Entrée. Sortie.
Un petit « mmmh » aigu lui échappe à chaque fois qu’il entre et revient. Ses seins rebondissent en même temps. Son visage est tendu, comme s’il retenait son souffle, et je suis frappée de voir à quel point elle prend et à quel point elle donne peu. Tout l’effort est de son côté à lui. Même lorsqu’elle se redresse pour s’appuyer sur ses coudes, son dos reste fermement appuyé sur le lit, ses hanches ne se soulèvent jamais pour répondre à ses poussées. Même lorsqu’il la rapproche de lui pour que ses jambes s’enroulent autour de sa taille, ils ne semblent jamais ne faire qu’un.
La connexion semble laborieuse. Entrer, sortir, entrer, sortir. Elle ne le touche pas, ne le touche pas vraiment. Est-ce qu’elle le voit au moins ? Je me concentre sur ses yeux à lui alors qu’il regarde sa bite disparaître à l’intérieur à chaque coup. Ses yeux se déplacent ensuite vers ses seins tandis qu’une de ses mains les accompagne. Mais ses yeux restent le plus souvent fermés, ne rencontrant jamais les siens et n’étant jamais disponibles pour elle. J’ai regardé beaucoup de porno – amateur et professionnel – mais c’est la première fois que j’observe d’autres personnes en train de faire l’amour devant moi. Un sentiment que je n’arrive pas à définir me tiraille.
Qu’est-ce que je suis en train de regarder ? J’observe ses cheveux restés intacts. Les muscles de son cul qui travaillent sans qu’on les touche pour les récompenser. Les perles de sueur sur son torse lisse nées de ses efforts nourris alors que ses coups de reins sont donnés mais jamais accueillis. Leurs mains ne se trouvent jamais. Leurs lèvres se rencontrent rarement. Alors qu’ils jouissent, elle d’abord et lui ensuite, je me demande comment il est possible que deux personnes puissent ainsi jouir ensemble et pourtant être si loin l’une de l’autre.
Au cœur de la nuit, avec une gueule de bois qui s’insinue déjà, je m’excuse et appelle un taxi. Il m’accompagne jusqu’au bout de l’allée sans dire un mot. Nous restons silencieux pendant un bon quart d’heure. Puis, alors que les phares de mon taxi tournent au coin de la rue, il me dit : « Je pensais que tu allais te joindre à nous ». Je lui réponds alors : « Ah, mais je n’ai pas été invitée ». Sa voix devient sérieuse. « Je ne fais pas dans les regrets. » Merde. Moi non plus.
* Cette fiction érotique a été écrite en anglais par Ginger Knicks. Pour la lire dans sa version originale, c’est par ici. Et la suite, la semaine prochaine !