— Il demande avec laquelle de ses deux femmes vous voulez passer la nuit.
Il n’y a pas d’étonnement dans la voix de mon guide. Il se contente de traduire, attendant que je fasse mon choix, visage impassible. Quelle femme me fait le plus envie entre les deux, comme s’il s’agissait d’un gâteau ou d’une perruche. J’ai besoin de m’asseoir, j’ai la tête qui tourne. La chaleur, la fatigue, et maintenant… ça. Cette question qui réveille mon désir qui avait disparu depuis un temps qui me parait infini. La prise de conscience de mon corps qui me signifie qu’il a envie d’autre chose que de fatiguer et souffrir.
Trois mois que je sillonne ce pays Africain pour le compte de Louis-Napoléon Bonaparte, il y a de quoi devenir fou. L’empereur en personne m’a chargé de cette mission de prospection, il désirait que je parte en quête d’or, de minerais… Ils veulent savoir si ça vaut la peine, l’Afrique, au sommet de l’État.
Ils ne vont pas être déçus, nos politiques. Il y a de quoi faire dans le sol de ce pays. Mais c’est une terre impossible à vivre… Les maladies, les bêtes sauvages, les luttes de territoire… C’est l’enfer pour celui qui n’est pas né ici. Je me suis habitué à cette humidité brulante permanente, à ces dangers qui ne disparaissent jamais, à la mort qui peut surfir de partout, à ces corps noirs qui se meuvent autour de moi sans que je ne comprenne rien de ce qu’ils racontent… À l’exception de mon guide qui connaît le français et qu’on a chargé de me trouver une équipe pour sillonner le pays.
Il dit qu’il aime la France, qu’un jour il ira. Il a appris la langue grâce à des curés venus évangéliser son village. Il dit que la langue française lui a donné un travail, et qu’un jour il ira travailler à Paris. Je lui ai pourtant expliqué ce qui l’attendait à Paris, il se fera appeler nègre et on rira de sa peau plus noire que l’ébène. Ça l’amuse quand je lui en parle, il répond que Paris est la ville des Lumières et que les philosophes le protègeront. Je me demande quel genre de curé il a rencontré pour avoir des idées pareilles dans la tête.
Toujours est-il que maintenant que je dois choisir laquelle des deux femmes du chef de ce village de montagne je préfère, le visage de Joséphine me semble lointain. Je lui écris presque tous les jours des lettres qui ne doivent pas toutes arrivées, mais c’est surtout pour ne pas l’oublier. Pour me souvenir de son visage de son corps, de sa voix… Ma fidélité à notre amour avait réussi à me couper tout désir. Aussi parce que je n’avais jamais pris l’habitude de regarder les femmes noires, je veux dire, de les regarder comme des femmes. Désirables, sensuelles…
Maintenant que mon guide me demande de choisir, je réalise mon effort pour m’aveugler. Si je ne me retenais pas, je me jetterais immédiatement sur elle, celle de droite bien entendue, aux seins pointus et fermes, qui regarde parterre pour ne pas croiser mon regard. Sa peau est plus noire que la nuit et ses courbes sont sublimes. Je la montre du doigt timidement et le chef sourit en prononçant des paroles que je ne comprends pas.
Mon guide m’informe que ce soir, après le repas, je pourrais rejoindre sa femme dans sa hutte. Elle sera mienne.
Je déglutis à cette idée. Je ressens l’excitation adolescente de la première fois, cette impatience érotique qui se mêle en même temps au désir que cette attente dure toujours. Pendant toute la cérémonie d’accueil de ma petite troupe de porteurs, de mon guide et de moi-même, je me retiens de dévorer des yeux ma proie. Je tâche de ne pas l’imaginer nue, de ne pas la dévêtir mentalement, de garder les secrets de son corps dans un coin de ma tête invisible. Mais c’est plus fort que moi. je la désire tellement fort… Il y a de la rage aussi. Ma frustration est aussi la conséquence de la dureté de mon quotidien dans ce foutu continent. Je veux prendre son corps comme son pays a pris le mien, violemment, sans cérémonie, avec la même absence de considération.
Quand le repas autour du feu se termine, je n’en peux plus. J’ai envie de jeter ma feuille de banane et le manioc aux insectes à la tête du chef, mais je me retiens encore. Je n’ai plus longtemps à tenir.
Mon guide a senti mon impatience, il m’explique que je dois respecter la tradition. C’est un grand honneur qui m’est fait. Je dois attendre que chacun des membres importants du clan aient rejoint leur hutte. Alors je réponds aux salutations de chacun et je les observe avec délectation disparaître un à un dans leurs maisons de bois. Elle vient me saluer aussi, et je bafouille d’émotion et de désir.
Le reste des villageois s’éparpille ensuite et mon guide s’éloigne vers notre campement en me signalant d’un air indifférent que je peux maintenant rendre visite à la femme du chef. Je ne me fais pas prier.
J’entre avec énergie et la trouve assise au bord de son matelas de roseau, en train de se coiffer à l’aide d’un peigne en ivoire. Elle se lève aussitôt et baisse les yeux en signe de soumission. J’aimerais lui dire qu’elle peut me regarder en face, que je veux que nous fassions l’amour les yeux dans les yeux, mais je ne parle pas sa langue. Je suis fatigué de ne jamais parler leur langue. Mon désir se mue à nouveau en rage.
Je la saisis violemment et plaque ma bouche contre la sienne. So corps d’abord crispé par la violence de mon geste se détend peu à peu. Elle écarte ses dents et laisse ma langue rejoindre la sienne. Je suis saisi par la douceur de son haleine. Sa bouche a le parfum des fleurs sauvages, sucré, ennivrant. Je ne parviens pas à lacher sa bouche, à goûter sa salive.
Mes mains se promènent sur son torse nu, je saisis un sein et je sens aussitôt mon sexe prêt à exploser sous mon pantalon de lin. Je quitte ses lèvres et dévore ses seins l’un après l’autre. Seules quelques bougies éclairent les parois de sa hutte et sa peau si noire semble disparaître dans l’obscurité comme si j’étreignais un mirage. Mais sa peau infiniment douce est délicieusement réelle.
Je saisis sa main et la glisse dans mon pantalon, elle sursaute. Ce ne doit pas être une façon de faire dans sa culture mais je m’en moque, je veux qu’elle sente mon désir pour elle. Je détache ma ceinture et mon pantalon tombe à mes chevilles, puis j’arrache son pagne et découvre aussitôt les poils drus de son pubis. Je plaque ma main et joue avec sa toison avant d’enfoncer un doigt entre ses cuisses. Il s’enfonce dans la douce tiédeur de son sexe, je le remue un peu sans parvenir à savoir si la jeune femme prend du plaisir. Je la pousse sur sa natte de bambou et me jette sur elle. Je n’en peux plus, alors je guide mon pénis dur et je la pénètre sans douceur. Elle pousse un petit cri discret et fronce les sourcils. Que c’est bon d’être en elle, je sens que je ne vais pas tenir longtemps, j’ai attendu toute la soirée. Je profite de mes allées et venues en elle autant que je peux mais bientôt j’explose et je sens mes bourses se soulever au fur et à mesure que je m’épands en elle.
Quelle sensation exceptionnelle, quelle peau elle a, quel parfum elle dégage…
Un bruit derrière moi attire mon attention. Le chef est debout dans la hutte. Il crie des mots que je ne comprends pas avant d’abattre sa hache sur mon visage. Je sens des dents qui se brisent et je suis projeté sur le côté, sonné. Le chef continue de hurler et s’approche de sa femme qui se met à genoux, yeux au sol, toujours dans cette attitude de soumission. Les coups de haches pleuvent sur le crâne de la jeune femme à qui je viens de faire l’amour et sa tête n’est bientôt plus qu’une bouillie.
Je ne comprends pas tout de suite ce qui se passe. Puis le chef s’approche de moi et lève sa hache ensanglanté vers moi. Avant qu’il ne l’utilise à nouveau pour m’anéantir, j’aperçois mon guide derrière lui. Il ne me regarde pas, il a les yeux rivés sur mon pantalon et tout devient limpide. Il sait que mon argent est cousu à l’intérieur de mon pantalon et qu’il ne me quitte jamais. Il m’a piégé. Je n’ai jamais été autorisé à toucher la femme du chef… Je regarde son corps désarticulé et je pense à cette phrase que j’ai pris l’habitude de dire à tous les occidentaux que je croise : « Il faut être né ici pour pouvoir vivre ici. »
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