Parmi les grands poètes français dont on apprit par cœur les octosyllabes et autres alexandrins alors que nous n’étions encore que des marmots naïfs et innocents, certains d’entre eux nous ont été présentés comme étant globalement des louangeurs de la nature, de l’amour, de la mort ou du temps qui passe. Une poésie sage et belle narrant avec verve au mieux quelques morales, sinon d’élégantes esquisses du monde…
Mais nos professeurs ont omis une petite catégorie plus discrète, moins vantée, et qui pourtant fut loin d’être délaissée par nos plus grands auteurs : la poésie érotique, libertine, scabreuse…
Alors pour combler ce vide culturel, réparer cette absence de nos manuels scolaires, et pour le plaisir surtout, voici quelques poètes parmi les plus célèbres et leurs poèmes parmi les plus licencieux…
« La Lettre » de Georges Sand
Outre le fait que ce texte est une véritable prouesse technique, il a également le mérite d’avoir été écrit par une femme, laquelle est plus que mal représentée dans le milieu de la poésie, surtout érotique… Voici donc un extrait de cette fameuse lettre, et si vous ne saisissez pas l’ampleur voluptueuse du texte, contentez-vous de n’en lire que la moitié. Mais attention, pas n’importe quelle moitié…
Je suis très émue de vous dire que j’ai
bien compris l’autre soir que vous aviez
toujours une envie folle de me faire
danser. Je garde le souvenir de votre
baiser et je voudrais bien que ce soit
là une preuve que je puisse être aimée
par vous. Je suis prête à vous montrer mon
affection toute désintéressée et sans cal-
cul, et si vous voulez me voir aussi
vous dévoiler sans artifice mon âme
toute nue, venez me faire une visite. […]
(Essayez maintenant de le relire une ligne sur deux…)
« A Mademoiselle Alice Ozy » de Victor Hugo
L’auteur de « Demain dès l’aube » a écrit ces quelques vers pour une actrice célèbre de son époque, Alice Ozy, qui voulait des vers écrits pour elle par l’auteur. Bien que ce ne soit pas la plus belle représentation du génie de cet immense poète, ce quatrain est teinté d’esprit et d’une gentille lubricité !
Platon disait, à l’heure où le couchant pâlit :
-Dieux du ciel, montrez-moi Vénus sortant de l’onde !
Moi, je dis, le cœur plein d’une ardeur profonde :
-Madame, montrez-moi Vénus entrant au lit !
« Sanguine » de Jacques Prévert
Sans mot cru ni description scabreuse, la puissance érotique de ce poème paru dans le recueil « Spectacle », repose dans l’ambiance et les images parfaitement décrites en quelques mots à peine. La femme est comparée à une orange sanguine, c’est-à-dire un fruit rouge, juteux et presque animal avec la référence au sang.
La fermeture éclair a glissé sur tes reins
Et tout l’orage heureux de ton corps amoureux
Au beau milieu de l’ombre
A éclaté soudain
Et ta robe en tombant sur le parqué ciré
N’a pas fait plus de bruit
Qu’une écorce d’orange tombant sur un tapis
Mais sous nos pieds
Ses petits boutons de nacre craquaient comme des pépins
Sanguine
Joli fruit
La pointe de ton sein
A tracé une nouvelle ligne de chance
Dans le creux de ma main
Sanguine
Joli fruit
Soleil de nuit.
« Les poètes l’ont si bien dit » de Pierre de Ronsard
Si vous imaginiez la poésie du XVIème siècle austère et sage, ce poème devrait vous faire changer d’avis ! Pas de détour ni de pincette, Ronsard fait purement l’éloge du sexe féminin.
Je te salue, Ô merveillette fente,
Qui vivement entre ces flancs reluis;
Je te salue, Ô bienheureux pertuis,
Qui rend ma vie heureusement contente!C’est toi qui fais que plus ne me tourmente
L’archer volant qui causait mes ennuis;
T’ayant tenu seulement quatre nuits
Je sens sa force en moi déjà plus lente.Ô petit trou, trou mignard, trou velu,
D’un poil folet mollement crespelu,
Qui à ton gré domptes les plus rebelles:Tous vers galans devraient, pour t’honorer,
A beaux genoux te venir adorer,
Tenant au poing leurs flambantes chandelles!
« Femme du monde » de Théophile Gauthier
Plusieurs fantasmes mêlés dans ce poème : la femme bien élevée et prude en société qui se laisse allée aux plaisirs de la chair, avec un être mystérieux, fantasme de l’inconnu, et dans un lieu public où n’importe qui peut les surprendre, car ils ne semblent pas faire d’effort particulier pour dissimuler leurs étreintes au milieu de quelques arbres… On remarque dans cet extrait le style épuré et la mise en page aiguisée qui offrent une lecture rapide et vive pour un effet saccadé.
[…]Par delà le nombril
Son outil
Lui monte jusqu’au buste,
Gros, robuste,
Par le chaud, par le froid,
Toujours droit.
Sous l’acier qui paillette
Sa voilette,
Le cachemire long
Au talon,
Cette sainte Nitouche
Qu’effarouche
Le moindre mot plaisant
Non décent,
Chaque soir rend hommage
À l’image
Que le gamin impur
Trace au mur. […]
Lire le poème dans son intégralité.
« Le con d’Irène » de Louis Aragon
Un hommage, là encore, au sexe féminin et plus particulièrement à celui d’Irène… Il s’agit en fait d’un écrit situé à mi chemin entre poésie et roman érotique et qui était, à l’origine, un extrait d’un roman qu’Aragon brula. Ce texte est une description exaltée, une véritable ode au sexe féminin à travers les yeux d’un homme en état de béatitude subjuguée. Dans l’extrait proposé, il décrit les caresses qu’il lui prodigue, pour de doux préliminaires en vue d’une étreinte torride…
Comme il se tend vers nos yeux, comme il bombe, attirant et gonflé, avec sa chevelure d’où sort, pareil aux trois déesses nues au-dessus des arbres du Mont Ida, l’éclat incomparable du ventre et des deux cuisses. Touchez mais touchez donc vous ne sauriez faire un meilleur emploi de vos mains. Touchez ce sourire voluptueux, dessinez de vos doigts l’hiatus ravissant. Là que vos deux paumes immobiles, vos phalanges éprises à cette courbe avancée se joignent vers le point le plus dur, le meilleur, qui soulève l’ogive sainte à son sommet, ô mon église.
« Aimons, foutons, ce sont plaisirs » de Jean de La Fontaine
Sans doute le plus étudié des poètes sur nos bancs d’école, La Fontaine est célèbre pour ses fables et leurs morales destinées à nous aider dans nos quotidiens parsemés des pièges de la vie… Voici donc une nouvelle morale sur les plaisirs de l’amour, à méditer.
Aimons, foutons, ce sont plaisirs
Qu’il ne faut pas que l’on sépare;
La jouissance et les désirs
Sont ce que l’âme a de plus rare.
D’un vit, d’un con et de deux cœurs,
Naît un accord plein de douceurs,
Que les dévots blâment sans cause.
Amarillis, pensez-y bien :
Aimer sans foutre est peu de chose
Foutre sans aimer ce n’est rien.
« La serveuse » d’Arthur Rimbaud
Difficile de ne pas mentionner Rimbaud dans une liste des grands poètes français ! Il y a évidemment le célèbre « Sonnet du trou du cul » écrit avec son ami et amant Paul Verlaine, mais « La serveuse » est peut-être plus représentatif. On découvre ainsi la description charnelle et extasiée d’une serveuse avec laquelle le poète a eu vraisemblablement quelques aventures érotiques et dont les courbes émoustillantes l’ont marqué agréablement…
[…]Mais quelles fesses, voyez-vous !
Fesses magistrales, comtales, princières,
Bonnes à condamner à la dossière
La verge ponceau des récureurs d’égouts.Mais la langue vive et la bouche
Baveuse et buveuse d’orgeats !
Langue fourrée, langue pineuse d’entrechats
Ou d’entre-fesses ! Et les chibres qu’elle débouche ! […]
Lire le poème dans son intégralité.
Art et érotisme
Il est en fait assez difficile de trouver un poète qui n’ait jamais rien écrit d’érotique et les quelques auteurs énumérés ici ne représentent qu’une infime partie de ce que notre littérature propose. Le genre érotique a toujours été prisé quelque soit l’époque à la fois pour son côté « interdit » qui poussa nombre de poètes à user de pseudonymes aux temps où la loi punissait ce type d’écrit, mais aussi parce que les sentiments de désir et de plaisir liés à la sexualité sont intemporels et dotés d’une puissance fascinante.
L’érotisme et le plaisir sont partout, ils touchent tous les Hommes, quelque soit leur rang ou nationalité, et certaines grandes décisions de l’histoire ont été prises dans l’élan d’une nuit torride… Comme le souligne Eugène Ionesco dans La Cantatrice Chauve pour expliquer que l’érotisme est partout : « Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux ! »