Joseph se tourna vers Lois et fronça les sourcils. « Et c’est ce que tu as choisi pour moi ? Tu me fais m’interroger sur ton choix. » Puis il afficha à nouveau ce sourire dur.
Le cœur de Lois fit un bond. Elle choisit alors un autre angle d’attaque. « Peut-être que je vois quelque chose en toi. Un soupçon de royauté. »
Cette fois-ci, il rit à haute voix. « Rien ne représente mieux la royauté que qu’un roi à plat sur le sol. »
En entendant cela, son esprit s’éclaircit et son cœur fit un bond à nouveau. Il s’en souvenait donc ! Il ne cherchait pas à éluder cet épisode.
« Je ne suis pas d’accord », dit-elle en contrôlant sa voix qui était sur le point de se briser. « Un roi qui tombe, eh bien, il peut attirer l’attention de ses serviteurs, ce qui ne se produirait jamais lorsqu’il est assis sur son trône. Couvrez-le de sucre et qui sait ce qui pourrait arriver. »
Elle détourna le regard et souffla sur son thé, laissant le commentaire en suspens entre eux.
Il resta silencieux mais gardait les yeux fixés sur elle. Elle sentait son regard, aimait cette sensation. Elle espérait beaucoup de ce que ce regard pouvait signifier.
« J’ai remarqué les sacs de sucre près de la porte d’entrée. » Il parlait doucement, presque dans un murmure. Lois ne répondit pas avec des mots. Elle détourna son regard, fixant les eaux bleues du lac. Cependant, elle était pleine d’excitation et de bonne humeur.
Le silence s’était réinstallé entre eux. Chacun était en train d’estimer combien de temps cela pouvait durer et jusqu’où l’intérêt de l’autre pouvait aller. Joseph était peut-être allé assez loin pour Lois.
Elle dit : « Je me suis dit que le sucre à la porte l’année dernière avait augmenter mes affaires – une grande année. Si ça a marché une fois, alors le sucre ainsi posé à l’entrée peut continuer à faire croître l’entreprise. »
« Donc tu crois à la chance, pas seulement à la bonne vieille valeur travail. »
« Du sucre à la porte ne peut pas faire de mal, n’est-ce pas ? » Elle gardait toujours les yeux orientés vers le lac.
« Mais », lui dit-il, « il y avait un roi sur le dos, couvert de sucre non ? Le sucre n’était pas dans des sacs. »
« Mais enfin qu’est-ce que tu racontes ? » demanda-t-elle. « Je ne peux pas travailler toute l’année avec du sucre sur le sol. »
Il ne répondit pas.
Le silence entre eux s’était réinstallé. Il était tendu et aussi fort que des coups de canon. Boum ! Bang ! Le cœur de Loïs battait à tout rompre. Pensait-il à ce qui s’était passé entre eux ? se répétait-elle dans son esprit.
Il y pensait en effet.
Lois sentit une main forte toucher doucement son épaule. Il lui dit simplement : « Il y a un roi sur le sol. » La main la lâcha, et sa présence disparut.
Lois dut prendre une grande inspiration mais ne pouvait pas montrer son excitation. Ce dont elle rêvait depuis un an se produisait enfin. Elle ferma les yeux et respira à nouveau. L’air était doux, rafraîchissant. Puis elle posa son thé, prit une autre inspiration et se leva lentement. Ses genoux tremblaient et son corps était instable à cause de ce allait peut-être se passer.
Une fois à l’intérieur de la cabane, elle vit Joseph au niveau de la porte d’entrée, allongé sur le sol.
Elle éclata de rire, elle avait du mal à se contrôler. Ce n’était pas que c’était drôle. Au contraire, le rire était un moyen de libérer tout ce qui s’était accumulé en elle. Elle rit de plus en plus fort.
« Tu es unique en ton genre. Je n’avais jamais pensé que je reverrais ça un jour. »
« Et que vas-tu faire à ce sujet ? » lui demanda-t-il depuis le sol.
Comme si elle était dans un jeu de rôle dramatique, elle se précipita à ses côtés.
« Est-ce que tu vas bien ? Tu peux bouger ? Quelque chose de cassé ? » Elle lui tapota le poignet.
Agenouillée au-dessus de Joseph, elle sentit qu’il posait sa main dans sa nuque et l’attirait à lui. Ils s’embrassèrent. De longs et délicieux baisers. Lents, profonds. C’était le résultat de douze mois de ses rêves et de ses désirs, de ses espoirs et de ses fantasmes.
Une de ses mains était posée sur le sol, et l’autre sur la poitrine de Joseph. Les puissants muscles de sa poitrine étaient saillants. Il respirait fortement. L’an passé, soulever un mince tissu avait suffi à l’énerver et à le faire partir, elle avançait aussi loin qu’elle se sentait d’aller.
Joseph était rude. Aussi rugueux que son sourire. Des avant-bras hérissés. Des poils grossiers sur le menton. Ses mains calleuses la contrôlaient, et elles ne voulaient pas la lâcher. Elle se soumettait volontiers, prête à faire ce qu’il voulait. Il était l’homme dont elle rêvait. Elle espérait qu’il lui demanderait de faire beaucoup, afin qu’elle puisse le satisfaire. C’est ce qu’elle voulait. Le satisfaire, l’aider. Elle voulait desserrer l’armure qu’il s’était construite.
Elle interrompit le baiser. Leurs yeux restèrent longtemps connectés, transperçant les barrières de l’autre. Puis elle glissa ses mains sur son torse.
« Le roi est-il vivant ? » murmura-t-elle à voix basse. « Vous ai-je sauvé, mon seigneur ? »
Sa main glissa sous sa chemise et se posa sur son cœur, au-dessus de la cicatrice. « Je ne vous laisserai pas mourir. Je suis là pour vous protéger », lui dit-elle.
Elle sentit son cœur battre rapidement. Il jouait.
Soudain, Lois sentit le corps de Joseph se tendre. Il l’a fit rouler sur le dos. Leurs yeux restèrent unis. Elle était en dessous de l’homme qu’elle aimait, ce qu’elle venait de réaliser. Il avait été un travailleur, un Marine endurci. Déchiré par la guerre, blessé physiquement et émotionnellement.
« Tu m’as sauvé », lui dit-il simplement. Il se pencha vers elle et l’embrassa intensément. Ses baisers étaient aussi durs que lui. Leurs nez s’écrasèrent, leurs lèvres se pressaient, leurs langues se caressaient.
Ce baiser rendit Lois folle. Elle avait attendu un an, ce qui lui avait semblé une vie entière, pour ce baiser, pour se retrouver précisément dans cette position. Elle avait eu peur de le perdre il y a un an, quand il s’était soudainement renfermé sur lui-même et avait laissé le lac Agnès et elle-même comme au bord d’un précipice. Elle avait alors passé l’été le plus solitaire et le plus froid de sa vie. Dès son départ, elle avait enfermé ses sentiments pour lui et s’était fermée à l’amour, se coupant des petites joies quotidiennes. Elle avait peur de réveiller ces sentiments confinés, enfermés. Ils pouvaient se transformer en une douleur, une horrible cicatrice. Une cicatrice sur sa propre poitrine, blessée par quelque chose de plus tranchant qu’un couteau aiguisé. Elle ne voulait pas se méprendre sur lui à nouveau et pas plus que sur la situation. Cela lui causerait encore plus d’émotions emprisonnées. Mais il y avait quelque chose qu’elle redoutait encore plus. Il pouvait s’être enfermé à cause de ses questions sur sa cicatrice. Cette douleur sur sa poitrine, cette douleur à l’intérieur de lui, la douleur de ses terribles guerres. Elle l’avait ravivée. Mais il avait pu être brûlé et brûlé à nouveau. Il avait peut-être été poignardé une fois de plus. Par elle ! Si elle commettait une erreur de plus, il ne reviendrait jamais. Elle incarnerait alors parfaitement la saison d’hiver du salon de thé. Enfermée, distante, mutique, oubliée.
Mais avec le baiser de Joseph, toutes ses peurs s’envolèrent. Son corps se réchauffa. Elle se sentait revivre. La saison du printemps. En fait, sa propre cicatrice refoulée, qu’elle avait placée sur sa poitrine il y a un an, commençait à guérir. C’était l’amour. L’amour renaissait en elle.
Ils se mirent à parler en même temps.
« J’ai été… » « Je n’ai pas… »
Ils s’arrêtèrent tous les deux. Elle gloussa. Lui grogna un éclat de rire.
« Toi d’abord », lui dit-il.
Elle tâtonnait pour exprimer précisément ses sentiments. « J’ai… pensé à toi. Tu n’as jamais quitté mon cœur. »
Le visage de Joseph s’éclaircit, passant de celui d’un soldat renfrogné à celui d’un doux gentleman. « Je n’ai pas eu l’esprit clair une seule fois depuis que je suis parti l’année dernière. Tout n’était que : Lois, Lois, Lois. »
Elle l’attira, le serra contre elle, comme une couverture sur elle.
« Ne me quitte jamais, jamais », lui dit-elle.
« Je suis là. Ici pour toi », répondit-il profondément et lentement, comme un père à sa fille adorée.
Ils s’embrassèrent à nouveau pendant un long moment. Ils appréciaient la présence de l’autre ainsi que le contact physique. Elle sentait que leur passion modifiait le corps de Joseph, et le sien plus encore.
Lois aimait avoir réussi à changer la cadence de la respiration de Joseph. Plus encore, elle était ravie qu’il savoure visiblement ce qu’elle lui faisait. Elle laissa sa main trouver sa cicatrice. Elle toucha la partie de lui qui avait des ramifications profondes, la partie qui menait à un endroit où personne n’était allé depuis longtemps, probablement jamais vraiment.
Cette fois, il lui permit de la toucher. Il renforça sa pression sur elle, déplaçant son corps contre sa main, contre son corps tout entier. Il se frottait à elle. Elle sentit qu’il trouvait la paix dans cette étreinte, qu’il s’installait.
Ils s’embrassèrent à nouveau et firent l’amour. Leurs tasses de thé indien sur le porche avaient non seulement refroidi mais été totalement oubliées.
Lois s’est sentie régénérée lorsque Joseph la laissa le voir tel qu’il était vraiment. Un soldat, blessé et meurtri, mais capable d’aimer plus profondément que sa cicatrice. Le lendemain, il repartit pour un an.
En ce mois de mai, le bruit des rotors de l’hélicoptère s’amplifiait, résonnant sur les crêtes des montagnes plates qui entouraient le lac Agnes. Elle avait déjà placé les lourds sacs de sucre de part et d’autre de la porte d’entrée mais, dans sa nervosité, elle les déplaça de quelques millimètres seulement pour les replacer à l’endroit où ils avaient été posés la première fois.
Les sacs de sucre étaient ses porte-bonheurs, et ce depuis une décennie maintenant. Plus que de la chance, ils lui avaient apporté l’amour et lui avait permis de le garder. Chaque printemps, elle achetait deux sacs de sucre spéciaux qu’elle plaçait à droite et à gauche de la porte d’entrée. Chaque année, avec Joseph, ils rejouaient la chute de ce dernier et le sauvetage de Lois, en jetant des grains sur le sol et en plaçant les sacs sur les épaules de Joseph. Pour eux, vivre leur amour, c’était revenir au moment où ils étaient littéralement – tombés – amoureux, inconscients du caractère heureux de cette chute..
* Pour découvrir la première partie de cette nouvelle érotique, c’est par ici !
** Elle a été écrite en anglais par Claire Woodruff. Si vous souhaitez la lire en V.O, c’est par là.