À l’école lorsque je m’ennuyais en classe, comme beaucoup d’autres élèves, je trouvais amusant d’imaginer le professeur nu dans des positions nonchalantes absolument hors de propos. C’était sans intérêt, mais ça me faisait sourire et ça faisait passer le temps jusqu’à la fin de l’heure.
J’imaginais grotesque cette personne toujours sérieuse, toujours tendue, cette grande personne physiquement normale, ou même très moche, en train de copuler avec son ventre bedonnant, ses fesses flasques, ses cheveux gras, son visage laid, ses bras maigrelets, ses épaules tombantes, avec des partenaires aussi peu excitants, faisant des grimaces de jouissance déformant leurs traits ni virils ni sensuels.
Les gens normaux n’étaient pas faits pour faire l’amour ; leurs coïts se devaient d’être pratiqués dans le noir, cachés comme des choses honteuses. Aujourd’hui avec YouPorn, la vision de gens ordinaires ayant des rapports sexuels ordinaires, était devenue ordinaire. Il n’y a plus de joie à imaginer son professeur en levrette, rien de choquant, rien de risible, puisqu’on a déjà regardé des plus moches en faire autant dans des décors de banlieue filmés avec des téléphones en haute et douteuse définition.
Je joue toujours à ce jeu quand le temps s’allonge. Au travail, en réunion, il m’arrive souvent d’imaginer des scènes érotiques. Et maintenant j’en suis l’héroïne. Je me vois me dénuder, me toucher, me dandiner, me caresser, devant chaque collègue. Je joue à ça le plus souvent pendant les réunions d’équipes hebdo, ou pendant les discussions autour de la machine à café, lorsque l’on parle encore travail.
Je m’imagine me promener nue, plus sensuelle qu’une chatte, me frottant sur les coins des meubles, sur toutes les surfaces, comme pour sentir, sentir, sentir encore. Ces divagations me procurent des petits shoots de sensation d’être en vie, humaine, animale. Je m’imagine errer comme un fantôme visible pendant que les autres continuent à travailler et se forcent à faire comme si de rien n’était, tenant leurs discussions sérieuses pendant que je lèche mes doigts tout juste trempés dans un de mes trous.
Je les imagine souriant en douce, lâchant des poufs de rires, et continuant leur bla-bla, se remplissant d’envie d’en faire autant, comme on laisse les enfants dormir sur le canapé chez des amis ou les chiens se lécher les couilles pendant qu’on mange, parce que les conventions sociales ne semblent pas exister pour eux.
Je rêve qu’elles n’existent pas non plus pour moi. Plus de code, plus jamais… J’accepte que les conventions, les tabous et les mesures d’ordres morales existent, mais je rêve aussi de récréations, de pauses, de moments à moi où je peux être comme je veux en public. Je réclame le droit de ne pas être reprise quand je veux mouiller justement ici et là, même si c’est interdit et que ça ne se fait pas. Comme il y a des pauses clopes, je souhaite avoir mes pauses érotiques.
À la prochaine réunion lundi matin, pendant la revue des chiffres, je m’imaginerais bien faire un effeuillage. Pendant que je me frotterai le pubis sur le bureau, je voudrais que ma voisine me caresse les cuisses ou le dos, l’air de rien, en regardant les power point et en écoutant les annonces de résultats. J’imagine bien qu’untel, homo ou psychorigide, fasse des moues faussement intellectuelles en se forçant à regarder ailleurs. Je sais que ma chef ne regardera pas, car elle est jalouse que je n’ai rien à cacher ni à revendiquer, alors qu’elle est complexée à cause de ses seins qui ne sont pas symétriques.
Et puis en rentrant de la pause déjeuner, s’ils sont aussi rébarbatifs que d’ordinaire, je m’allongerai sur mon bureau dans l’open space, levant les jambes et laissant ma chatte s’aérer. C’est saugrenu, ça déjoue le stress, c’est agréable. Dans mon imaginaire, les petits cons en costard et les stagiaires passeront regarder avec leur café en plastique, se racontant des choses pleines de sens sur ma folie. Ma liberté les épouvante.
Rien que d’imaginer leurs petites ambitions et leur vie étriquée, j’écarte pour de vrai un peu mes jambes pour me dépolluer l’esprit.
Si le monde était aussi beau que dans mon imaginaire incohérent, on parlerait de moi dans toute l’entreprise comme la sensuelle excentrique. Je figurerais sur de nombreuses présentations internes, car j’aurai rendu l’environnement de travail plus accueillant, plus détendu. Les hommes ne chercheraient plus à voler un œil sur les culs des petites stagiaires entre deux portes, au contraire, ils viendraient me demander de pouvoir regarder mes seins et j’accepterais par politesse.
Certains auront la chance de me voir sans chemisier, les jours de grande chaleur. Tout cela dans un monde d’espiègleries de bon goût. Mais je rêve.
À la salle de sport, alors que nous sommes souvent entre nous nues depuis la douche jusqu’au sauna, la pudeur, qui vous autorise à montrer vos fesses aux lesbiennes musclées du lieu, vous interdit d’en donner même un aperçu aux gays bodybuildés, l’hétérosexualité reste la norme.
J’imagine les gymnases de la Grèce antique où les athlètes étaient nus, car l’honneur du beau corps et l’orgueil des belles performances étaient réellement appréciés. Courant sur place en sueur sur les elliptiques, j’imagine que les garçons et les femmes soulèveraient plus de fonte à se regarder nus. Et puis à force de se regarder, on ne se verrait plus.
Sans parler des conséquences sociales pour mon emploi, personne n’y trouverait son compte. Devant moi dénudée, les hommes les plus frustrés qui cherchent autant que possible à voir un bout de chair dans un chemisier qui baille ou une jupe qui remonte, qui salivent quand on a le dos tourné à regarder notre culotte de cheval et à deviner notre culotte de coton, eux-mêmes, au lieu de se mettre de la partie et d’avouer leur attirance, crieraient au scandale.
Dans mon dos dénudé, les femmes les plus sensuelles prendront leurs jambes à leur cou, vociférant la honte contre le beau sexe et le beau cul. Personne ne veut qu’en un lieu professionnel l’on se comporte de façon autre que professionnellement. Sans tabou, pas de survie en société. Mon sexe, ma sexualité doivent rester sous mes draps de lit, les rideaux fermés et la lumière éteinte.
Alors quand j’ai envie de me montrer, je vais aux toilettes. Je prends plusieurs minutes et plusieurs mètres de papier pour nettoyer le sol et la cuvette. Puis je passe plusieurs lingettes. Si j’ai le temps, je me mets entièrement nue, à l’exception des chaussures et des bas (quand j’en porte). Sinon je m’assois, pantalon ou jupe baissés, et je me masturbe.
Quand mon désir n’est pas complètement assouvi, je regarde un porno sur mon smartphone au sol. Je me masturbe au-dessus, distinguant le reflet de mon visage et de mes lèvres sur les zones noires de l’écran. Parfois, quand il y a moins de monde dans la zone où je suis installée, pendant les vacances, je sors un petit vibromasseur pour me masturber encore. Même quand je l’ai entièrement aspiré dans mon vagin il reste bruyant, je suis donc prudente.
Parfois quelqu’un entre et prend le WC d’à côté. Systématiquement je cesse tout bruit, écoutant ce qu’elle va faire. J’espère secrètement qu’elle va se plaindre à voix haute d’un collègue ou d’un autre, qu’elle va se masturber en laissant des râles occuper le silence. Mais le plus souvent elle urine dans un bruit d’ébullition pendant lequel j’imagine une vulve rabat-joie pousser un jet jaune comme de la bière et tiède comme les pensées de ceux qui ne vivent pas comme ils aiment. Parfois aussi j’entends déféquer, et ces trivialités de la vie me ramènent à l’absurdité de ma présence en ces lieux. Je me demande si je suis faite pour travailler dans un building impersonnel. Je me dis que je devrais peut-être trouver un copain de baise au bureau, mais la nature humaine fera que tout deviendra vite compliqué. Alors je rentre chez moi, j’écris un peu, je me couche, et le lendemain on recommence.
Je devrais arrêter de penser à tout cela, le monde ne sera pas meilleur, l’humanité ne changera pas, et je ne serai jamais moi-même. Alors je vis comme tout le monde, avec des heures de bureau sempiternelles. Des périodes de fatigues, d’autres de petits creux, d’autres de fierté, d’autres de déception. Et la journée se passe dans cette accumulation chaotique de micro-sentiments sans fin, sans but, sans raison, sans pourquoi.
Fin
Article écrit par Bénédicte
Parisienne de 25 ans, de tendance bi, Bénédicte s’habille d’un minimum de tabou, pour vivre ses expériences amoureuses.
Journaliste lifestyle et sexo sur Ô Magazine, elle joue de cet espace privé pour vous raconter sa sexualité curieuse, intense et parfois dangereuse.
Philosophe excentrique, Bénédicte n’est pas qu’excitante, elle est un piège.