Paris s’étendait devant ses yeux, à perte de vue, champ de ruine désolé sur lequel plus aucun immeuble ne tenait debout. Voilà pourquoi elle pouvait évaluer l’étendue des dégâts. Aucune construction haute, pas même la Tour Eiffel, pour obstruer la vue. Elle ne pouvait retenir ses larmes. On l’avait prévenue, elle savait depuis longtemps à quoi s’attendre. Mais maintenant que c’était là, devant elle, la réalité dépassait tout ce qu’elle avait imaginé. Cette ville qu’elle avait tant aimée n’existait plus. L’humanité folle l’avait entraînée dans sa chute.
Elle erra parmi les monceaux de pierres, sans chercher à se faire discrète. Elle n’imaginait pas croiser quiconque. Pas d’eau, pas de nourriture, les villes avaient été les premières désertées. Et puis elle s’en moquait. Si elle devait croiser quelqu’un, si elle devait le payer de sa vie, qu’il en soit ainsi. Elle était fatiguée de ne jamais envisager plus loin que le jour le jour. On lui avait dit que c’était du suicide de se rendre à Paris. C’était peut-être ce qu’elle cherchait. Mourir, en finir avec ce destin misérable mais dans la ville où elle avait connu les plus grands bonheurs.
Parfois, un bout de mur encore orné de ces frises typiques des immeubles haussmanniens surgissait de terre. Elle les observait le cœur serré avant de repartir dans son exploration. Elle ne parvenait pas à se repérer et cherchait des indices pour se situer dans ce Paris qu’elle avait si bien connue. En regardant au loin, elle voyait parfois les monts en ruine scintiller sous le soleil à cause des bris de verres qui jonchaient les sols détruits. Elle songea que même à terre, Paris continuait d’être belle.
Elle pleurait à chaudes larmes sans cesser d’avancer dans ces décombres dangereux où des tiges de métal se mêlaient à des blocs de béton instables. Elle ne parvenait plus à être vigilante, sa tristesse profonde annihilait sa volonté. Elle se sentait fatiguée, vidée. Elle s’assit un moment sur un morceau de banc vert qui avait réchappé miraculeusement aux effondrements alentour.
Elle porta sa gourde à ses lèvres. La chaleur était intense et les ruines n’offraient aucun coin d’ombre. En refermant sa bouteille de métal, son regard fut attiré par un buste de pierre renversé. Il se trouvait à une quinzaine de mètres, face contre terre. Elle s’approcha de ce vestige et comme il était trop lourd pour être retourné, elle s’allongea à côté pour tenter de voir la figure sur la statue. Elle n’eut pas besoin de l’observer longtemps. Elle se mordit la main pour ne pas crier comme elle en avait pris l’habitude puis les larmes repartirent de plus belle.
Tous les souvenirs étaient remontés d’un coup. Thomas, son premier amour, leurs escapades dans Paris, leur bonheur, leur vie simple… Et leurs rendez-vous au Jardin du Luxembourg. Là où elle se trouvait en ce moment. Comment imaginer que ce jardin paisible avec son bassin sur lequel les enfants venaient jouer avec leur bateau était devenu ce tas de gravats ? Elle caressa la joue de la statue au sourire figé. Un frisson la parcourut. Elle se souvenait tellement bien de ces moments de joies avec Thomas.
Au pied de cette statue, un soir d’été caniculaire, ils avaient escaladé discrètement les grilles du jardin et s’étaient cachés derrière le buste en marbre pendant que le gardien faisait sa ronde. Ils s’étaient retenus de rire pour ne pas être misdehors. Puis quand l’homme s’était éloigné, ils s’étaient embrassés. Tendrement, follement, amoureusement. Il lui avait dit ce soir-là pour la première fois, qu’il l’aimait. Ils s’étaient embrassés encore et encore, pour profiter à fond de leur amour. Comme ils avaient eu raison.
Elle avait volontairement oublié les moments de bonheur trop intense de sa vie d’avant, condition essentielle pour survivre. Mais à présent, elle ne voulait plus retenir le bonheur, même s’il n’était que sous forme de souvenir.
A l’exception du gardien qui faisait sa ronde, ils étaient seuls dans le Jardin du Luxembourg, excités autant par le danger que la passion de leurs corps amoureux. Ils s’étaient dit « je t’aime », et tout leur être réclamait maintenant d’exprimer cet amour.
Il s’était agenouillé devant elle au pied de la statue, ils avaient plaisanté sur cette posture qui donnait l’impression qu’il allait la demander en mariage. Puis il avait passé sa tête sous sa jupe et avait commencé à embrasser ses mollets, ses cuisses, remontant progressivement vers le bassin. Ses mains virevoltaient de ses cuisses à ses fesses abritées par une culotte en coton de plus en plushumide. Car ces caresses spontanées et douces provoquaient en elle un plaisir qu’elle n’aurait pas imaginé. Il ne faisait que l’effleurer, la frôler de ses mains et de ses lèvres et tout son corps en était bouleversé.
Elle tentait de réguler sa respiration pour s’empêcher de gémir et ne pas attirer l’attention du gardien. Elle aimait Thomas, elle aimait ses caresses, elle aimait cette chaude soirée d’été, être là, dans ce jardin, bravant l’interdit et découvrant le plaisir.
Il avait descendu très lentement la culotte de coton le long de ses jambes. Elle avait senti la brise tiède s’engouffrer entre ses cuisses et elle avait frissonné. Il avait glissé la culotte dans sa poche puis s’était à nouveau plongé sous la jupe de la jeune femme. Il avait glissé ses lèvres le long de ses jambes avec plus de fièvre, conscient que plus rien ne l’empêchait d’accéder au sexe libéré.
Il avait effleuré les lèvres ouvertes du bout de la langue et elle avait soupiré plus bruyamment qu’elle ne l’aurait voulu. Mais le gardien ne semblait pas être dans les environs. Elle avait écarté les jambes, invitant son amant à poursuivre et il avait introduit sa langue plus profondément, l’agitant sur le clitoris gorgé de désir. Elle s’était tenue à la statue pour ne pas tomber, l’agrippant derrière elle, les jambes fléchies pour offrir son sexe à la bouche délicieuse.
Il avait saisi ses fesses, dévorant sans retenue le sexe trempé de la jeune femme. Il y mettait tout son désir, sa fougue, et elle sentait déjà l’orgasme monter. Elle avait envie de lui, elle se tortillait contre la statue, sentant dans chaque mouvement l’incroyable frisson de son corps comblé.
Ses jambes étaient douces et il ne se lassait pas de palper ses fesses et de descendre les mains le long des cuisses sans cesser de s’abreuver de son sexe ouvert et trempé.
Elle avait murmuré qu’elle voulait le sentir en elle, qu’il la prenne là, dans le jardin, contre la statue, et tant pis si le gardien les surprenait. Alors il s’était redressé et comme il l’embrassait, elle avait défait la boucle de la ceinture avec agilité, déboutonné le pantalon et descendu le caleçon de quelques centimètres, juste le nécessaire pour faire surgir le pénis. Quand elle avait senti le membre dur entre ses doigts, une nouvelle salve de désir l’avait foudroyée.
Elle avait dirigé le pénis directement entre ses cuisses et s’était glissé dessus dans un soupir de soulagement et de plaisir. Elle le sentait, dur, gros, elle était emplie de lui et son plaisir était près d’exploser. Il avait donné quelques coups de bassins, lui arrachant des cris d’extase qu’elle ne retenait plus. Ses paupières fermées, elle s’était laissé envahir par le plaisir d’être possédée par l’homme qu’elle aimait dans la chaleur de Paris la nuit.
Quand elle avait senti l’orgasme ultime grimper doucement au fil des coups de bassin qui la transportaient, elle avait ouvert les yeux et dévorer sa bouche avec sa langue, pour le voir, le toucher, le sentir quand elle jouirait. Les muscles de ses jambes s’étaient contractés, elle avait joui, se laissant aller sur son homme en elle. Et il avait joui, répandant au fond d’elle le fruit de son plaisir infini. Ils étaient restés un long moment l’un à l’autre, lui en elle, à faire durer cette union parfaite. Ils avaient eu conscience de partager une complicité dont ils se souviendraient jusqu’à leur dernier souffle.
Allongée contre la statue, se remémorant cette osmose incroyable, cette jouissance unique, elle se souvenait la beauté du plaisir insouciant. Une sensation oubliée depuis longtemps. Elle allait s’assoupir, enlaçant la statue quand elle entendit des bruits de pas dans les gravats, puis des voix. Encore dans la brume de ses souvenirs, refusant de les quitter trop tôt, elle ne cherchait pas à comprendre ce qu’on se disait. Elle devina sous le soleil des silhouettes qui l’encerclaient, quatre ou cinq hommes au rire mauvais. Leurs phrases semblaient étouffées, elle n’était pas intéressée par ce qu’elles racontaient.
Elle voulait se raccrocher à ses beaux souvenirs et retarder le retour au présent. Elle savait ce qu’ils voulaient. C’était ce qu’ils désiraient tous, ces hommes, quand ils trouvaient une femme seule. Elle ne voulait pas qu’ils gâchent son moment. Elle ferma les yeux, pour faire abstraction le plus longtemps possible. Mais bientôt elle sentit qu’on l’agrippait, qu’on tentait de la décoller de la statue. Elle résista encore, jusqu’à ce que les coups pleuvent. On la força à s’allonger sur le dos. Elle eut le temps de glisser sa main dans la poche.
Puis elle cessa de résister, écartant les jambes comme une invitation. Les hommes rirent, ils se disputaient déjà l’ordre de passage. Mais l’un d’entre eux se méfiait, il voulait la fouiller, il n’aimait pas sa docilité soudaine. La jeune femme souriait, c’était étrange. Il palpa ses jambes, ses bras, et quand il glissa sa main dans la poche, il en sortit la grenade qu’elle avait dégoupillée quelques secondes plus tôt. Il n’eut pas même le temps de comprendre. Aucun d’entre eux n’eut le temps. Dans un ultime flash elle revit le jardin du Luxembourg ce soir d’été. Elle se sentait bien. Le présent avait disparu, il n’y avait plus que le doux souvenir de Thomas et la délicieuse caresse de la brise estivale.