L’inconnu qui s’est rasé

Il me regardait. Bien assis sur sa chaise, il m’imaginait lui faisant tout un tas de trucs qu’il avait pu espérer lorsqu’il consommait sans modération son abonnement Jackie et Michel. Son œil se déplaçait trop vite de mes yeux à mes seins, puis mes épaules, puis à travers la table (tiens, il voit à travers la matière comme Superman ?), puis mes cheveux, puis mes mains. Il espérait me déshabiller par l’imagination, mais visiblement il n’y arrivait pas. J’étais peut-être la plus belle fille qu’il n’avait jamais rencontrée sur Tinder.

La veille je m’étais plongée dans une réflexion à n’en plus finir sur l’absurde arbitraire de nos goûts et l’incroyable conséquence qu’ils ont sur notre vie. Alors, en quête d’une aventure urbaine, je modifiai mon profil Tinder pour voir et être vue de tout le monde ; et un peu plus tard, je décidai de donner un coup d’index à droite à tous les profils proposés. Au petit matin, en relevant les filets, je pouvais juger avoir fait bonne pèche. Tous n’étaient pas beaux, mais il y avait de quoi découvrir la vie autrement qu’à travers le diktat de mon conditionnement social.

Le rendez-vous était fixé pour 22 heures. Je ne voulais pas manger. Juste boire un verre. Pour provoquer un peu, je commandai un Lagavulin. Ses yeux brillaient, il croyait que j’allais me saouler. Je lui demandai ce qu’il faisait dans la vie, et parce qu’il préférait me raconter ses vacances en Grèce que de m’expliquer son boulot, je souriais. Ses yeux brillèrent plus encore : il imagina sans doute qu’il allait pouvoir descendre aux toilettes et que je le rejoindrai, mue par une envie nymphomane de lui dévorer la queue. Il espérait que les femmes prennent plaisir à hauteur qu’elles se rabaissent, se salissent et se ridiculisent, que tout ce que sa mère lui avait enseigné était faux, et que c’était sa gentillesse qui avait été la cause de ses échecs sexuels.

Alors je sortis un cigare, un Churchill, je le coupai, l’allumai et le fumai en regardant la fumée se répandre dans l’air. L’image virile du cigare calma brutalement ses fantasmes de dominateur du dimanche. Puis l’aspect phallique lui donna évidemment l’idée de mon rouge à lèvres se déposant sur sa verge. Je le regardais. Il comprit qu’en plus de lire dans ses pensées, c’était moi qui les orientais. D’un sourire j’indiquai qu’il était maintenant temps qu’il décide si oui ou non nous allions copuler et, comme prévu, ses yeux acceptèrent avec une petite gêne.

Tout se passerait à l’hôtel. Il ne devait pas savoir où j’habite, je ne voulais pas conserver son odeur.

Lorsque vous avez réussi à faire suffisamment peur à un homme, il ne se jette pas sur vous dès les premiers pas dans la chambre. Au contraire, il sait que ses espoirs puérils ne seront pas considérés. Alors je le mis à la douche. Après un tour de repérage dans la chambre, j’entrai dans la salle d’eau, prenant garde de rester à bonne distance. Je pus l’observer presque une minute avant qu’il ne me remarque. Ce fut assez pour décider du premier jeu. Pour cela, j’appelai la réception pour commander un nécessaire de toilettes pour homme.

Maintenant entièrement dénudée, je retournai à la salle d’eau ; fermai le robinet ; et, à genoux, je recouvrai son pubis de gel à raser. Il bandait pendant que je le rasais délicatement. La queue enfin rendue présentable, je la pris à des deux mains et commençai à le branler à bonne vitesse. Les pousses écrasant de plus en plus son frein, j’accélérai le mouvement. Je ne le suçai pas, ce n’était pas encore le moment. Je le regardai sourire, s’émerveiller, se plaindre, et quand il fut au bord de l’extase, je lui dis « vas-y belle bite, décharge ton sperme chaud, j’en veux. » Comme très souvent, cette phrase, si elle est dite avec force et langueur, a l’effet attendu : il jouit. Je me relevai et, profitant des quelques secondes d’extase post coït, je lui fis lécher son sperme sur mes seins. Il reprit pleinement conscience, comme tous les hommes qui n’aiment pas goûter leur semence, et, avant qu’il n’essaie de reprendre de la contenance, je lui fourrai dans la bouche les trois doigts contenant le reste de son jus. Si l’on veut bien baiser avec un inconnu, soit il est un bon dominant, soit on le domine sans jamais lâcher bride. Je lui remis le gel et son rasoir, lui précisant ma volonté de le voir débarrassé de tous ses poils. Non pas que j’eusse une quelconque aversion contre son système pileux, mais je voulais savoir jusqu’où il irait pour m’avoir : les aisselles ? les fesses, les jambes ? la poitrine, les bras ? les cheveux ? Et quittant la salle d’eau, j’indiquai du doigt la crème après-rasage en précisant que je voulais une peau douce.

Dans la chambre, je remis ma guêpière. Assise sur le fauteuil, en face du lit, je me pinçai le clitoris de la main gauche, et la main droite vint chercher un peu d’humidité à l’entrée de mon vagin. Je frottais assez vite. De temps à autre je ralentissais pour caresser mes petites lèvres et entrer dans ma vulve. Je l’avais fait éjaculer et maintenant, en attendant qu’il se rende présentable, j’avais les jambes écartées posées sur chaque accoudoir, le con bien ouvert, les lèvres maintenues ouvertes d’une main tandis que l’autre astiquait mon clito durci.

Dans une chambre d’hôtel, je m’apprêtais à baiser avec un inconnu en train de se raser sur mon ordre. J’étais envahie par un sentiment d’absolue absurdité et de totale liberté. J’incarnais l’exquise complexité de la sexualité humaine. Cette pensée me réjouit. Lorsque l’orgasme monta, mon majeur tapota sur le clitoris, puis l’écrasa jusqu’à le repousser dans ma vulve, jusqu’à mon dernier tremblement. Puis, après deux respirations, je retirai délicatement mes doigts, pour les sucer, un peu par habitude, un peu par goût.

Il n’était toujours pas sorti. Il se rinçait. Je me levai pour reprendre le contrôle visuel de la chambre. Je sortis un parfum de mon sac et en répandis un peu sur le cou et le nombril. Ne pouvant plus attendre, j’ouvris une petite bouteille de champagne qui nous attendait dans le minibar. Je m’en servais une coupe quand il sortit.

Pour que la photo soit belle, je me plaçai en contre-jour, debout, une coupe dans une main, un genou appuyé sur le lit. Je pris une gorgée et lui dis « sers-moi ». Il était nu comme un ver. On voyait un peu plus son embonpoint. Il était un peu moins beau, mais j’aperçus son regard : ce n’était pas celui d’un chien humilié, mais celui d’un homme qui voulait donner et recevoir. Il commença à me caresser au hasard, partout, et je lui répétai dans un souffle d’abandon « sers-moi ». Ses mains continuaient de partir au hasard, comme sa bouche. Il voulait tout toucher, tout embrasser, tout lécher. Il passait et revenait sur mes seins, essayait de mordre mon ventre et d’attraper mes cuisses. Il enfonça son nez dans ma chatte et s’arrêta pour la humer. L’animal en lui sentit qu’elle venait de jouir, qu’elle était encore pleine de cette semence féminine, pleine des fruits du plaisir. Ma main gauche attrapa ses cheveux et lui redressa le visage pendant que les doigts de ma main droite plongeaient au fond de sa gorge. C’était ma façon de lui confirmer que je m’étais bien branlée en l’attendant et qu’il devait continuer de lécher ma main pendant que je terminais ma coupe.

D’un doigt je lui indiquai les condoms jetés sur la table. Pendant qu’il enfilait le latex avec ce rictus de sérieux dégoûté qu’arborent tous les hommes à ce moment, je me reversai une coupe, en pris une gorgée puis posai la bouteille. Je m’allongeai et terminai de renverser ce qui restai de ma coupe sur moi : ma bouche, mes seins, mon ventre et enfin ma vulve. Et il se mit à me boire, à me lécher et à étaler le champagne de ses mains. Sensibilisé par sa peau nouvellement rasée, il cherchait tous les contacts de la mienne et se mit à me lécher intégralement. Il voulait entièrement me goûter, m’explorer, il ralentissait là où il cherchait plus de goûts, plus d’odeur, il se régalait de ma sueur autant que du champagne. Il voulait me posséder, m’attacher par sa salive. Cette odeur métallique se mélangeait au chardonnay oxydé, qui fusionnait étrangement avec mon parfum le plus fort. Puis, progressivement insatisfaite de ses caresses appuyées et de sa langue qui n’en finissait plus de parcourir mes courbes, mes ongles se retirèrent de ses épaules pour venir tirer mes tétons.

Je cherchais des sensations plus aiguës. Je savais que ses caresses mouillées allaient finir par me lasser même si dans le même temps je devinais mon clitoris se dresser. Il devait maintenant monter en sexualité, quitter les préliminaires, être plus concret. Je contraignais ma respiration à s’accélérer pour déclencher ma sueur, pour changer mes perceptions, pour sentir encore sa prise de pouvoir humide sur mon corps. Je m’excitais en fermant les yeux pour mieux l’imaginer comme un essaim d’insectes venus m’engluer chaudement. Je voulais percevoir chaque passage de sa langue comme une invasion voulue à la frontière de ma peau, et il devait la traverser. Je me griffais pour réveiller mes sens jusqu’à ce que l’odeur de mon vagin nous envahisse. Pour en finir avec ces préliminaires, j’appelais l’animal enfoui derrière cet homme trop civilisé. Son corps entièrement rasé, parce qu’il était plus sensible, parce qu’il n’était plus le corps connu du monde extérieur, ne devait plus résister à l’expression de la nature.

L’odeur pénétra enfin ses narines pour s’infiltrer directement au cerveau et il fut en rut. Redressé, comme certain de son devoir, il se mit au-dessus de moi, posa son pénis contre ma vulve. À ce moment, nous devions choisir, ou bien le laisser entrer avec la virilité qui le flatterait, ou bien reprendre le contrôle de la danse. Mais je ne voulais plus le freiner pour ne pas perdre la valeur de cette fornication. Il poussa, entra, je lui plantai mes ongles dans le dos et je tirai. Il esquissa un cri et grimaça en inspirant fortement. Je lui souris pour qu’il continue de besogner. Il s’exécuta.

Trop rapide, il s’essoufflait et ralentit. Se repositionnant, il écarta mes jambes. Je tendais les pointes pour m’admirer dans cette géométrie corporelle si flatteuse. Je soulevais mon bassin pour admirer sa bite aller et venir en moi. C’est un spectacle fascinant que de voir une bite tailler pour entrer, sculptée pour le plaisir, comme déposée chez tous les hommes pour donner du plaisir aux femmes. Chaque mouvement procure un plaisir constant, croissant, intérieur. Un contact, une connexion, une discussion entre mon intérieur secret avec ce voyou toujours sorti. Une salle de jeux entre les jambes, et cette bite bondissant avec joie et prétention. Je sentais chaque mouvement dans mes entrailles, et je prenais du plaisir.

On se retourna. Une levrette. Il se replaça en dehors du lit, debout, attrapa mes hanches, les tint à pleines mains, et laboura comme un rugbyman. Je sentis ses yeux fixer mon con défoncé et j’entendis la seule idée qui animait encore son cerveau : il voulait être fort, il cherchait le bruit de percussion, il voulait battre mon clito avec ses boules. Grand effort physique que j’excitai par des gémissements facilement placés. Puis il se calma. Il comprit qu’il ne jouirait pas tout de suite. Je posai ma poitrine sur les draps gardant les fesses levées, m’installant confortablement. Je tournai ma tête, pour qu’il voie ma bouche s’ouvrir et se tendre, et qu’il imagine m’entendre gémir silencieusement. Mes mains glissèrent vers mon pubis. L’une ouvrit mes lèvres, l’autre frotta mon clitoris. Et il continua. Pour qu’il ne débande pas, je forçai ma respiration, la rendant par moments bruyante, et petit à petit, de plus en plus fort, j’annonçai des sentences simples et crues, des « comme ça, prends-moi », des « vas-y défonce-moi », ou des « oh oui, n’arrête pas ». Puis je jouis en criant, en trois fois : la première crescendo, la deuxième piquée, la troisième dans un long râle.

Il ralentit. Il regarda sans doute ma nuque, car les hommes regardent toujours une nuque lorsque les cheveux viennent d’être jetés sur le côté. Le dessin des racines forme un W très allongé, comme les lèvres de la chatte. Ayant été si bien remuée, ma nuque était humide. Il redonna un coup violent et profond avant de s’arrêter. Je remuais en rond les fesses et lui parlais de sa virilité. De belles phrases sur la beauté de sa bite, sa force, sa puissance, ses effets, l’amenèrent progressivement à jouir. Il avait une bite assez normale, la calotte un peu longue, le tout assez droit et symétrique. Il fallait qu’il finisse vite, sinon je risquais de regretter d’avoir baisé une bite si ordinaire. Je continuais de vanter tous les attraits sexuels que peut attendre une femme en fonction des hommes, lorsqu’il se mit à parler. Sans vulgarité ni poésie, il me décrit tel que je lui apparaissais, tel que j’avais voulu être. Je me tus pour écouter. Il vanta mes courbes, ma chatte si mouillée, mes cris et mes paroles, ma manière de le dominer sans l’humilier mais au contraire pour le révéler. Il dit enfin que j’étais sans doute la première vraie femme qu’il rencontrait (ce fut tout de même assez flatteur), qu’il avait compris la leçon, qu’il ne voudrait pas me revoir et qu’il garderait secret cette séance d’humanisation. Puis il jouit. Dans une espèce de champ tibétain à deux voix, il jouit.

Ces dernières paroles me donnèrent envie de terminer par un jeu, juste pour moi. Il s’était retrouvé allongé en travers du lit, me regardant, un œil encore désireux et l’autre parfaitement inexpressif. Je lui remis la bouteille de champ’, l’autorisant à la finir. J’entrouvris la fenêtre, laissant un air neutre et un peu froid remplir l’espace. Je me servis un double whisky, mélangeant deux mignonnettes. Je sortis de mon sac un jouet Lelo. Je m’assis confortablement dans le lit ; enfonçai l’objet dans ma vulve et le démarrai. Je bus une gorgée de whisky, reposai mon verre, et entamai un nouveau cigare. Je regardais les rideaux danser lentement, détendue par un massage vaginal et la fumée qui s’échappait par la fenêtre. Il restait là, plus que nu, la peau blanche par endroits égratignée, pour seule couverture son condom recroquevillé, comme en extase, comme mort.

Mon cigare achevé jusqu’au purin, j’allai dans la salle d’eau me remettre au propre. Puis, rhabillée, je quittai l’hôtel. Il était tard, et dans quelques heures je devrais aller au boulot.

Fin

BénédicteArticle écrit par Bénédicte

Parisienne de 25 ans, de tendance bi, Bénédicte s’habille d’un minimum de tabou, pour vivre ses expériences amoureuses.

Journaliste lifestyle et sexo sur Ô Magazine, elle joue de cet espace privé pour vous raconter sa sexualité curieuse, intense et parfois dangereuse.

Philosophe excentrique, Bénédicte n’est pas qu’excitante, elle est un piège.